notes de lecture du livre « Genèse de l’antisémitisme »

 Après ma lecture du livre «Genèse de l’antisémitisme» de Jules Isaac.

              Ce ne sont que des «notes de lecture» qui n’ont pas la prétention d’une recension autorisée de ce livre. Mais sa lecture m’a impressionné par sa rigueur de recherche historique et m’a fait découvrir avec  douleur la place que l’Église a prise au long des siècles pour susciter et entretenir «une horreur sacrée pour le juif» (p.17). 

            «Nul doute a écrit le chrétien Nicolas Berdiaeff, que par rapport au peuple d’Israël, les chrétiens portent un lourd péché.»  (p. 21)

             Jules Isaac, né en 1887, bien connu comme historien et par les manuels d’histoire «Malet et Isaac», était jusqu’à l’arrivée du gouvernement de Vichy, inspecteur général de l’Instruction publique. Dès la parution du statut des juifs en 1940, il tombe sous le coup de l’interdiction des juifs dans la fonction publique. Il se réfugie avec sa famille en zone libre jusqu’au moment où là aussi les juifs sont recherchés. Avec sa famille, il est obligé de se cacher. Mais toute sa famille est arrêtée par la gestapo ; par chance, il en réchappe. Sa femme, sa fille et son gendre ne reviendront pas de leur déportation à Auschwitz.

             Jules Isaac a d’abord écrit un premier livre : «Jésus et Israël» en 1946, aboutissement d’une recherche commencée en 1943 «sur une table de chambre d’hôtel» et poursuivie «de refuge en refuge» pour comprendre comment la Shoah avait pu avoir lieu dans une Europe «chrétienne».

            «Mon projet initial : savoir si Jésus avait rejeté Israël – le peuple juif dans son ensemble – … ou même réprouvé et maudit ; … si Israël avait rejeté Jésus , … s’il méritait depuis 2 millénaires «la flétrissure infamante de peuple «déicide» ; si l’on était fondé à voir, dans la longue suite de ses malheurs «le châtiment providentiel de la crucifixion». (extraits de la page 14)

             Ce premier livre qui répondait par la négative à toutes ces questions à partir d’une lecture des Evangiles dans la langue originelle, le grec, reçut un mauvais accueil de la part de beaucoup d’historiens, théologiens catholiques …

Ce deuxième livre [Genèse de l’antisémitisme] parait en1956 avec cette dédicace :

A mes chers amis chrétiens et spécialement à mes chers amis catholiques
A tous ceux qui ont répondu loyalement à mon appel des années 1946-1947
Mais peut-être est-il plus sage de ne pas désigner nommément
ceux qui m’ont témoigné le plus de dévouement et de sympathie active
à qui je dois le plus de gratitude

            Il poursuit la recherche et grâce à une enquête minutieuse sur des documents (et rien que des documents) il décrit comment l’Église a façonné dès les premiers siècles de son histoire un antijudaïsme qui évolue vers un antisémitisme chrétien.

Une première partie traite «de l’antisémitisme dans l’antiquité païenne».

              A propos de l’«éternel antisémitisme» invoqué après la parution de Jésus et Israël, l’enquête de Jules Isaac observe ce qui se passe dans les siècles avant notre ère.

            « … le témoignage hébreu du Livre d’Esther … montre clairement que le séparatisme pratiqué par les communautés juives de la diaspora constituait le principal grief invoqué contre elles par la raison d’état ; rien ne prouve que l’écrit lui-même soit antérieur au 1er siècle. Du côté grec en tout cas ce n’est pas avant le 1er siècle (avant notre ère) qu’apparaît un antijudaïsme déclaré.»  (p. 76) (séparatisme qui s’explique par sa  fidélité à sa foi et son attachement  à la pratique de la Torah)

            «Sur le plan historique rien ne permet d’affirmer que l’antisémitisme est aussi ancien que le judaïsme lui-même, qu’il est apparu dès le début de l’histoire d’Israël. Toute affirmation de ce genre, théologique ou non, est sans fondement.»(p. 125)

            «La dispersion du peuple hébreu – ou diaspora – a commencé dès le 8ème siècle avant J.-C. Avec les déportations en Mésopotamie.» (p. 126)  On ne peut donc pas la présenter comme une conséquence, un châtiment divin après la crucifixion de Jésus.

            Entre l’antisémitisme païen ainsi défini, délimité, et l’antisémitisme chrétien qui va le relayer à partir du 4ème siècle, il y a plus de différences que d’analogies. La différence fondamentale a été mise en lumière par Marcel Simon (in Verus Israël p. 263) «L’antisémitisme chrétien revêt, du fait qu’il est entretenu par l’Église, un caractère officiel, systématique et cohérent, qui a toujours fait défaut au premier. Il est au service de la théologie et nourri par elle … A la différence de l’antisémitisme païen qui traduit le plus souvent une réaction spontanée, exceptionnellement dirigée et organisée, il poursuit un but très précis : rendre les juifs odieux.»

            Jules Isaac ajoute :     «Celui-ci va de pair avec un statut privilégié
Celui-là inventera le système d’avilissement.»  ( p. 129)

Deuxième partie : de l’avènement de l’empire chrétien à la fin du premier millénaire

L’ENSEIGNEMENT DU MÉPRIS ET LE DÉBUT DU SYSTÈME D’AVILISSEMENT

– Le judaïsme à l’avènement de l’empire chrétien :

            «Répandus d’un bout à l’autre de l’empire, groupés en communautés qui jouissaient d’une large autonomie – même judiciaire – assemblés chaque jour de sabbat et aux jours de fête dans leurs « synagogues », renforcés d’un certain nombre de prosélytes venus de la gentilité païenne et de craignants-Dieu, les judéens n’avaient pas lieu de se plaindre de la paix romaine … » (p. 140)

            «… la loi mosaïque leur était un ferme support, inébranlable : ils restaient le peuple de la bible et leur longue tradition orale était en voie de fixation écrite … » (p.140)

            «… Autant de bonnes raisons pour qu’aux yeux de l’Église ce judaïsme détesté, au corps vigoureux, à l’âme tenace (et hostile) apparut l’adversaire par excellence, à surveiller, à combattre, à abattre. » (p. 142)

– Du judéo-christianisme à l’antagonisme judéo-chrétien …

            «Chacun le sait  – ou devrait savoir – : le christianisme est né juif – juif d’origine, juif de recrutement, juif d’observances, juif par son essence messianique et son eschatologie visionnaire. Une secte juive parmi tant d’autres … » (143)

            Que s’était-il donc passé, en ce court demi -siècle ?

            «… la prédication chrétienne, tant qu’elle se maintenait dans certaines limites permises, trouvait une large audience au cœur même du judaïsme, à Jérusalem ; la croyance en Jésus-Messie ou Christ gagnait du terrain … » (p. 146)

            «Mais à lui seul le refus de la Loi suffisait : exiger du peuple juif qu’il y consentît, et non seulement pour les Gentils mais pour lui-même, aussi bien exiger qu’il s’arrachât le cœur. Il n’y a pas d’exemple dans l’Histoire d’un tel suicide collectif. » (p. 147)

            «Il ne s’agit nullement ici de prendre parti pour Pierre ou Jacques contre Paul, mais tout simplement de vérités de fait qui n’impliquent aucun jugement de valeur. Le succès foudroyant du christianisme affranchi témoigne que cet affranchissement lui était nécessaire, d’une nécessité vitale. Tout au plus est-il permis de regretter qu’il ait été si hâtif, si brutal et que par la faillite du judéo-christianisme bientôt taxé d’hérésie,  – lui, primitif -, l’unique pont ait été rompu par dessus l’abîme qui se creusait entre les deux orthodoxies. » p. 147 -, 148)

            «Car un abîme s’est creusé, chacun y travaillait de son mieux, avec une égale passion contraire, un égal oubli des commandements majeurs de ce Dieu dont chacun ne craignait pas de revendiquer le monopole. Douloureuse histoire, qui n’est à l’honneur ni de l’une ni de l’autre foi, désormais affrontées et ennemies, … » (148)

            «Toutefois ne nous laissons pas abuser par ces oppositions forcenées … »  « Dominantes à un certain niveau, celui de la controverse et de l’enseignement théologique, elles ne le sont plus au niveau de la vie quotidienne des simples fidèles…  Il se trouve des chrétiens, même venus de la gentilité, (mais parmi eux combien d’anciens « craignant-Dieu ?) pour fréquenter les synagogues, observer le code juif de pureté rituelle, le repos du sabbat, le grand jeûne de Kippour, les prescriptions alimentaires fixées par le « concile de Jérusalem » ( Actes 15). A la fin du 2ème siècle et au début du 3ème ces prescriptions sont de rigueur dans les chrétientés de Gaule et d’Afrique, elles garderont longtemps force de loi dans les églises d’Orient. » (152)

– La révolution constantinienne et ses suites.

            Renversement de situation au temps de Constantin : l’église chrétienne de persécutée devient victorieuse et bientôt officielle, le judaïsme [passe] d’un statut privilégié … à un système d’exclusions, d’interdictions, de vexations entre 312 et 337…

            L’enseignement du mépris.

           «… l’antijudaïsme doctrinal tourna bientôt à l’antisémitisme sous toutes ses formes, les plus dégradées, les plus nocives. » (p. 159)

            «… On doit le reconnaître avec tristesse : presque tous les Pères de l’Église ont participé de leur pierre, à cette entreprise de lapidation morale (non sans suites matérielles)» … «mais dans cette illustre cohorte, vénérable à tant d’autres égards, deux noms ont entre tous droit à une mention spéciale … Jean Chrysostome et Augustin … » (p. 161)

            En  386 Jean Chrysostome ordonné prêtre… «débuta par 8 homélies contre les juifs… » parce que [il y a] trop de «chrétiens judaïsants» … «C’est pour ces chrétiens de synagogues  que l’orateur prêche, tonne et foudroie pour les terroriser, leur inspirer une sainte horreur du judaïsme et des juifs … » (161)

         Une synagogue ? …  «demeure du démon, citadelle du diable, lieu de toute perversion,» – «et non seulement la synagogue, mais les âmes mêmes des juifs»

              Les juifs ? … des chiens … des porcs … des boucs … (p. 162 – 163)

            A l’adresse de ceux qui fréquentent encore la synagogue … «Ayant eu communauté avec ceux qui ont versé le sang de Jésus-Christ, comment peux-tu sans horreur venir participer à la table sainte, communier au précieux sang ?». (p. 164)

            Augustin «  moins violent … « Il n’en est pas moins passionnément hostile au judaïsme et aux juifs, pas moins soucieux de lutter contre leur influence persistante, d’en préserver les fidèles, de les munir d’une provision d’arguments valables en vue des controverses avec ces opiniâtres, ces réprouvés. » (p. 166)

            Devant un auditoire de catéchumènes … :  «La fin du Seigneur est venue. Ils le tiennent les juifs ; ils l’insultent, les juifs ; ils le ligotent, les juifs ; ils le couronnent d’épines, les juifs ; ils le souillent de leurs crachats, les juifs ; ils l’accablent d’outrages, ils le suspendent au bois, ils fouillent sa chair de leurs lances.» Quel texte ! Quelle exégèse !» (167)

            … « ’apport doctrinal propre à saint Augustin … destinée à la plus grande fortune (théologique) : la doctrine du «peuple-témoin » (168)

            «Si les juifs, qui ont refusé de croire au Christ, subsistent néanmoins, c’est qu’il faut qu’ils subsistent, c’est que Dieu l’a voulu ainsi dans sa surnaturelle sagesse, ils subsistent pour témoigner  et pour témoigner de la vérité chrétienne, ils en témoignent à la fois par leurs livres sacrés  et par leur Dispersion.» (p. 168)

            «Juifs, ils n’existent plus que pour porter nos livres pour leur propre confusion…»  Commentaire du ps. LVI § 9 (p. 170)

            Thème également familier à Augustin :«Fils aîné, le peuple réprouvé ; fils cadet, le peuple aimé. L’aîné sera l’esclave du cadet, ainsi les juifs par rapport à nous chrétiens … Caïn, ce frère aîné qui tua son cadet, fut marqué d’un signe afin qu’on ne le tuât pas, ainsi du peuple juif afin qu’il subsiste» (comme esclave porte-livre).» Comm. Ps. XL… (p .171)

            «… nous voyons la différence radicale qui sépare le système chrétien d’avilissement de son imitateur moderne le système nazi – aveugles et ignorants ceux qui méconnaissent leur mille liaisons profondes – : celui-ci n’a été qu’une étape, une brève étape précédant l’extermination massive ; celui-là, au contraire, impliquait la survie, mais une survie honteuse, dans le mépris et la déchéance ; il était donc fait pour durer, et pour nuire, supplicier lentement des millions de victimes innocentes…

            Théologiens impénitents, gardez-vous d’y mêler Dieu ; la vilenie humaine suffit.» (p. 172)

            Première ébauche du système d’avilissement

            Pas d’antisémitisme virulent dans le peuple chrétien, comme certains l’affirment sans y apporter la moindre preuve … «Ce que Chrysostome reproche aux chrétiens, ce n’est pas de détester les juifs, c’est au contraire de ne pas les détester, de trop judaïser.» (p. 174)

           «La condition des juifs dans l’empire commença de se modifier à partir de la révolution constantinienne… Le statut traditionnel fut maintenu. Il s’agissait seulement de les mettre hors d’état de nuire à la foi chrétienne et à sa diffusion. Mais à cette fin, il fallait préserver les chrétiens et les païens  de leur contact impur …» (p.174)

           Première loi anti juive de l’empire chrétien, dès 315 : prosélytisme juif puni de mort, protection officielle pour le prosélytisme chrétien ; différentes lois contre les synagogues ; vis à vis des esclaves juifs ; interdictions de fonctions publiques ; contre les mariages mixtes, plus tard (488) assimilés à l’adultère ; lois où l’influence de l’autorité ecclésiastique est «incontestable».

            C’est dans l’occident chrétien que le système d’avilissement appliqué aux juifs devait atteindre sa plénitude, «mais pas avant que l’Europe occidentale eut pris vraiment forme de chrétienté …» (223)

            Le pape Grégoire le Grand (590-604) a inauguré à l’égard des juifs une politique d’équité, d’humanité, de protection relative qui lui fait honneur, qui fera honneur après lui à d’autres papes …  (p.234)

            Formes diverses de l’antijudaïsme chrétien.

             Dans l’œuvre maîtresse de Grégoire le Grand : «Nul exemple ne peut être plus probant  puisque nous savons déjà pour l’avoir vu agir en chef d’Eglise et chef d’État, que ce grand pape, loin d’être un fanatique, s’est illustré par des qualités insignes, de générosité de cœur, d’élévation morale, d’équité, d’humanité.» (p. 287)

            «Il n’en est que plus frappant de constater la froide rigueur avec laquelle ce grand pape, ce noble esprit parle du judaïsme et du peuple juif et reprend à son compte la plupart des thèmes déjà traditionnels, sans en vérifier les fondements. Thème du judaïsme dégénéré à la venue de Jésus Christ, en proie à un formalisme orgueilleux et stérile : «Les meilleurs exemples n’ont pu amener cette nation grossière à servir Dieu par amour et non par crainte… Elle n’a été fidèle qu’à la lettre des préceptes divins», «Elle a cherché dans les paroles divines non un moyen de sanctification, mais une occasion d’orgueil.» (p. 289)

            «Une interprétation abusive de la parabole du mauvais riche et du pauvre Lazare (Luc XVI, 19-35) interprétation qui lui est familière et deviendra courante après lui, fait du pauvre Lazare – juif pourtant lui aussi – l’incarnation de la gentilité tandis que «par le riche aux repas opulents le peuple juif est désigné» … ce peuple «dont la superbe va contre Dieu» … (p. 289)

            «Infiniment dangereux ce thème du peuple « charnel » » car il mène par une progression fatale à celui de peuple de «la Bête», de l’«Antéchrist», et du «démon», «animé d’une haine perverse, diabolique contre Dieu et ses défenseurs.»  «Parce que les cœurs des juifs sont vides de foi ils sont soumis au diable» entre autres citations du pape Grégoire Le Grand.

            «On retrouve ici le thème de la Dispersion, châtiment divin de la crucifixion, de la persécution des apôtres, de l’ingratitude des juifs envers Dieu.» (p. 291)

            Nombreux récits de «miracles», copiés les uns sur les autres sont diffusés, «récits de conversions miraculeuses.» «Et certes il était grand besoin de miracles – ou de contraintes temporelles – pour forcer à la conversion les cœurs juifs «plus durs que les rochers,» gémissait Grégoire Le Grand.»  (Hom. Sur les Evangiles) (p. 292)

            « Oremus et pro perfidis judaeis »

            Les prières pour les juifs semblent avoir occupé une place importante dans l’ancienne liturgie. Mais elles n’ont pas tardé à se réduire en nombre et à changer de caractère, à se charger plus ou moins explicitement d’animosité antijuive, en opposition flagrante avec l’objet et le sens de la prière, c’est-à-dire l’appel à la miséricorde divine. » (p. 297)… »

            «Dès les premiers siècles du Haut Moyen Age, une seule prière pour les juifs a subsisté, jusqu’à nos jours  l’Oremus du Vendredi saint.»

            «Oremus pro perfidis judaeis   … «Prions pour les perfides juifs, que le Seigneur notre Dieu lève le voile de dessus leurs cœurs, afin qu’ils reconnaissent avec nous Notre Seigneur Jésus Christ.

            «… qui etiam judaicam perfidiam a tua misericordia non repellis …» Dieu … qui ne refusez pas votre miséricorde aux juifs même après leur perfidie …»

            «Il y a dans cette prière une expression redoublée  -perfidis, perfidiam – qui sonne comme un outrage …  Il y a pire : à partir du 9ème s., alors que chaque intention de prière est suivie d’un «Flectamus genua – Levate» elle est supprimée dans la prière pour les juifs. On lit dans les missels après le «Oremus pro perfidis judaeis» : «On ne dit point Amen et on ne se met pas à genoux.»    N’étais-je pas fondé à écrire dans Jésus et Israël : «Mieux vaut nulle prière qu’une telle prière.» (298)

            «Le 10 juin 1948, la sacrée congrégation des rites émet l’avis suivant …  «… ne sont pas désapprouvées, dans les traductions en langues modernes, les expressions signifiant «infidélité, infidèles en matière de foi» (p. 299) (mais le texte latin reste jusqu’au lendemain du concile Vatican 2)

             «Ainsi transformée, la prière du vendredi saint pro perfidis judaeis se situe dans la ligne, tracée par les Pères de l’Église, de l’enseignement du mépris. Mais elle n’est pas un cas exceptionnel. Toute la vie liturgique – et particulièrement la liturgie de Pâques – s’est progressivement chargée d’animosité antijuive. Pour les mêmes raisons : pour élever une véritable barrière entre Chrétiens et Juifs, pour enflammer les cœurs chrétiens, les faire brûler d’un antijudaïsme inextinguible. Effort couronné de trop de succès.» (305)

            de l’Oremus aux impropères.

            Jules Isaac relève de nombreuses citations de commentaires liturgiques de la liturgie des jours saints comme celle du lundi saint dans «La prière de l’Eglise» de L. A. Molien (1924) : «On voit d’un côté l’humiliation et la patience du Christ, de l’autre la cruauté et la jalousie des juifs» (des juifs sans exception) ;

            Marc XI , 18 : « Toute la foule, (la foule juive) était saisie d’admiration pour son enseignement». (p. 307)

           «On voulait que la réprobation fut globale comme l’accusation, qu’elle jetât à tout jamais le discrédit sur «les Juifs», tous les juifs de tous les temps ; on y a parfaitement réussi et, par surcroît, on a eu le déchaînement des haines.» (308)

            Les Impropères chantés aussi le vendredi saint.

            «Qu’est-ce en effet que les Impropères ? «Les reproches que le Messie adresse aux juifs», répond Dom Guéranger. Le Christ rappelle toutes les indignités dont il a été l’objet de la part du peuple juif, et met en regard les bienfaits qu’il a répandus sur cette ingrate nation

            «Dom Guéranger ne dit pas tout : il n’avertit pas ses pieux lecteurs et auditeurs de ce qui caractérise les Impropères. D’une part tous les outrages, «toutes les indignités» subis par le Christ sont mis au compte des juifs, (soufflets, flagellation, couronnement d’épines) même si dans l’Écriture ils sont le fait de non-juifs. D’autre part, tous les bienfaits prodigués par Dieu à Israël, tels que la mission providentielle de Moïse, sont mis au compte de Jésus ; dans la problématique chrétienne le Christ et Moïse ne font qu’un, l’Ancien testament n’est que la préfiguration du Nouveau. Ainsi doivent se comprendre et s’expliquer les Impropères dont on ne saurait dire ce qui est le plus frappant : leur beauté ou leur iniquité.» (P. 309)

            O mon peuple, que t’ai-je fait, en quoi t’ai-je contristé ?
Réponds-moi ?
Est-ce parce que je t’ai tiré de la terre d’Égypte
Que tu as préparé une croix à ton sauveur ?

            Moi devant toi j’ai fait s’ouvrir la mer
et toi tu m’as ouvert le flanc d’un coup de lance.

            Moi je t’ai élevé par force surhumaine ;
et toi tu m’as suspendu au gibet de la Croix.
O mon peuple… »

            «Je crains que les Impropères entendus au sens littéral n’aient, depuis des centaines et des centaines d’années, ravagé les cœurs chrétiens, les remplissant à la fois d’amour pour le Christ et de haine pour «les Juifs», ses bourreaux. Je ne le crains pas. J’en suis sûr.» (p. 311)

            «N’en doutons pas, l’enseignement du mépris a trouvé là, dans la liturgie, son plus puissant renfort.» (312).

Conclusion :

          «L’antisémitisme chrétien n’a-t-il fait que prendre la suite de l’antisémitisme païen ? Est-il vrai, comme on l’affirme qu’il a été «essentiellement un phénomène populaire, (P. Daniélou) et que les pouvoirs politiques et religieux n’y ont pris qu’une modeste part ?» (p. 326)

            Ma réponse, nette et claire :

            «Il est né de l’antagonisme farouche qui, de bonne heure, a mis aux prises l’Église et la Synagogue, chacune se prétendant l’authentique Israël de Dieu. Il est donc, à sa base, non pas populaire, mais théologique, ecclésiastique.» (327)

            «Contre le judaïsme et ses fidèles, nulle arme ne s’est révélée plus redoutable que «l’enseignement du mépris», forgé principalement par les Pères de l’Église au 4ème s ; et dans cet enseignement, nulle thèse plus nocive que celle du peuple «déicide». La mentalité chrétienne en a été imprégnée jusque dans les profondeurs du subconscient. Ne pas le reconnaître et le souligner, c’est ignorer ou camoufler la source majeure de l’antisémitisme chrétien.

            Source majeure où les sentiments populaires ont pu s’alimenter, mais qu’ils n’ont certes pas créée. L’enseignement du mépris une création théologique. (327)

            «La déchéance du peuple juif devait apparaître à tous les yeux comme un sûr témoignage de son aveuglement et de la vérité chrétienne.»  (p. 328)

Notes de lectures (02/2023)

Jean-Pierre Jacob

Le livre est empruntable à l’accueil Patrimoine des médiathèques de Brest sous la côte : C4512