De vive voix
Jeudi 29 avril 2021
17h30-19h30
« La crise du sens : nos sociétés peuvent-elles retrouver le goût du collectif ? »
Avec
Charles Pépin, philosophe,
Agnès Pannier-Runacher, Ministre déléguée en charge de l’Industrie,
Eric Salobir, prêtre dominicain et président d’Optic Technology
Anilore Banon, Flora Bernard et Sara Ravella.
Propos
Le goût du collectif, dans nos sociétés modernes, a une traduction politique : le bien commun. Ce grand horizon du vivre ensemble implique au quotidien un certain nombre de valeurs fondamentales : la vertu citoyenne, un récit collectif, un projet de société, la conscience d’une histoire, d’une culture, d’une civilisation spécifique, voire un fierté nationale. A ce simple énoncé, on mesure combien certaines de ces notions, pourtant, sentent aujourd’hui le souffre… ! La crainte du populisme hante notre bonne conscience, nous faisant douter de nos acquis et de nos mémoires. A bon escient, sans doute, lorsque s’y exerce un légitime esprit critique, mais en cette période de défiance inégalée au sein de la société française (dans tous les sondages européens, la France se signale par un taux de défiance et de pessimisme record), cette hantise du populisme, perversion du nationalisme, exerce de tranquilles ravages.
C’est sous sa pression que tous les idéaux structurants du vivre ensemble – ceux que nous avons cités – longtemps portés en bandoulière dans la besace républicaine, qui avait le cœur à gauche, ont été délaissés, relégués dans la zone grise, incertaine, des idées peut-être trop populaires, finalement considérées comme ringardes. Déclassés, aussi, par l’aptitude au « buzz » de slogans plus segmentants (l’intersectionnalité, le décolonialisme), où ils perdent du terrain dans le nouvel éco-système outrancier des réseaux sociaux. Plus assez progressistes, les idéaux républicains ? La droite extrême n’a qu’à se baisser pour les ramasser et les rependre, un à un, achevant de les discréditer…
En panne d’universalisme, nous aurions donc basculé dans ce que maint observateurs dénoncent comme la « tribalisation » ou « l’archipellisation » de la société. Où seule tirerait son épingle du jeu, en une sécession qui ne dit pas son nom, une élite numérisée parfaitement à l’aise avec « l’ailleurs » de la mondialisation. Sous la férule molle et technocratique d’une « épistocratie » – la gouvernance des « sachants » et des « experts » – notre société, désormais rétive aux grands idéaux, serait réduite à la logique des affrontement identitaires, substitut du débat d’idées. L’individu, quant à lui, esclave douillet et consentant de ses bulles numériques, se voit par ailleurs incessamment malmené par des discours radicaux, qui n’ont de cesse de le cantonner à son appartenance ethnique, religieuse ou sexuelle. Pas de quoi susciter de flamboyants engouements collectifs…
Ce cauchemar, cette dystopie, c’est littéralement celle qui s’énonce et se déploie, chaque jour, dans nos journaux du matin. L’image est trop noire pour être vraie, mais elle témoigne, a minima, d’une brisure. Celle des années 80 et 90, analysent les sociologues, où quelque chose a basculé : l’équilibre entre, d’une part, les conquêtes individuelles (salariales, avancées sociales, reconnaissance des minorités discriminées), et d’autre part la vision unifiée, intégrée, d’une société commune.
Souhaitons-nous vraiment, aujourd’hui, partager un destin commun ?
Avons-nous-nous encore, aujourd’hui, cette capacité à rêver en commun ?
Sans doute notre défiance, notre pessimisme, cette crise du sens a-t-elle aussi une composante spirituelle.
Alors même que la « quête de sens » se trouve sur toutes les lèvres, dans tous les esprits et à l’agenda de tous les colloques, cette fameuse quête se prête invariablement à une critique renouvelée de nous-mêmes et de nos sociétés, et semble, in fine, une recette pour la frustration permanente. D’où vient notre difficulté ?
Nous sommes-nous déshabitués à ce point à trouver des ressources en nous-mêmes ? Ou au contraire, à ne trop compter que sur nous-mêmes, sans jamais en rabattre sur notre volonté, obstinée, à tenter de contrôler les événements, avons-nous oublié, perdu le goût d’un regard désintéressé sur ce qui est antérieur à nous, au-dessus, ou au-delà de nous ? Aurions-nous perdu la faculté, tout simplement, de contempler le monde ?
Dans le vaste registre, qui de l’intime au collectif, déploie les promesses d’une possible dignité humaine, où situer les passerelles ? Les directions ? Le sens ? L’apostrophe de Kafka, « Du Bist die Aufgabe », « Tu es ta propre tâche ! », continue de nous interpeller…
Yann Boissière, Président des Voix de la Paix
17h30 – 17h40 Introduction (10min)
Yann Boissière
17h40 – 18h05 Duo (25min)
“ L’art et la spiritualité – l’intime au service du collectif ”
Intervenants : Anilore Banon, Sculptrice et Eric Salobir, Prêtre dominicain Président d’Optic Technology Animateur : Mondher Abdennadher.
Par l’« hybridité » de leur trajectoire professionnelle, nos deux intervenants occupent sans aucun doute une position idéale pour nous éclairer sur un sujet lui-même lesté d’une bonne dose d’hybridité. Le « goût » du collectif n’est-il pas en effet éminemment social et politique ? Pourtant, il n’est rendu possible, chez chacun d’entre nous, que si nous sommes un minimum à l’aise avec nous-même… Que si nous sommes ancrés dans une conviction personnelle, une passion, une sagesse qui nous donne le courage de nous tourner vers le monde et d’y agir.
Eric Salobir, prêtre dominicain, conseiller en communication du Pape, mais aussi des plus belles « licornes » de la Silicon Valley, connaît cette traversée des mondes aux antipodes, mais dont l’hybridité n’altère pas la profonde unité des questionnements humains sur ce qui a du sens ou n’en a pas… En tant qu’artiste, Anilore Banon ancre sa démarche au plus profond d’un regard intérieur. Mais elle a approfondi son art en mettant ses œuvres monumentales publiques au service de notre mémoire collective, interrogeant le lien mystérieux entre l’intime et le bien commun.
Deux regards, deux exigences de vérité intérieure, pour mieux nous donner le goût… du « goût du collectif » !
18h05 – 18h30 Duo (25min)
» Travail en entreprise — Nouvelles modalités en quête de sens «
Intervenantes : Sara Ravella, Economiste, conférencière Conseil de dirigeants et Flora Bernard, Fondatrice de l’Agence Thaé, Consultante en philosophie en entreprise
Animateur : Mondher Abdennadher.
La crise du Covid a stoppé des pans entiers de l’économie mondiale. Dans la course permanente à la transformation que mènent les entreprises pour conserver leur compétitivité, elle a accéléré la prise de décisions concernant les modalités-mêmes du travail. Le télétravail est devenu une nouvelle norme, renouvelant un certain nombre de questionnements : que devient la notion d’engagement quand la majeure partie de la collaboration se fait à distance ? Que devient la gestion d’équipe quand les collaborateurs sont disséminés de façon continue ? Ces nouvelles pratiques sont-elles porteuses – ou révélatrices — de l’avenir du travail pour la génération des millenials ? Quant à la recherche de « sens », dont la nécessité, aux côtés de la compétitivité, s’impose toujours davantage auprès des entreprises, quels horizons notre « monde d’après » dessine-t-il ?
18h30 – 18h45 Solo (15min)
“ Entre Covid et nouvelle révolution industrielle – Comment retrouver le goût du collectif ? ”
Intervenante : Agnès Pannier-Runacher, Ministre déléguée en charge de l’Industrie
Alors même que l’industrie vit une révolution planétaire avec les transitions écologique et numérique, une pandémie, non moins planétaire, a agi comme un révélateur sur nos sociétés. Sur le plan économique, un certain nombre de nos croyances ont été battues en brèche et, de manière plus générale, la mise à jour de certaines vulnérabilités questionne, rétrospectivement, nos capacités d’expertise et celles, entre autres, à anticiper, et à prévoir l’avenir.
Mais au-delà de l’économie elle-même, cette crise questionne certaines valeurs politiques de notre vivre-ensemble. Les discours volontaristes sur la réindustrialisation du pays sont-ils réalistes ? La violence du contre-coup de la crise ne va-elle-pas les réduire à néant ? Comment s’assure-t-on que les populations – dont on a vu qu’elles demeurent au centre de toute puissance collective – sont « embarquées » par ces projets ?
Alors même que les énergies sont entièrement mobilisées par la gestion de la crise, est-il temps de tirer quelques premières leçons ? Et au-delà, d’imaginer les trajectoires pertinentes pour demain, pour nous orienter vers un monde plus juste, où la nécessité de la performance ne contredit pas le « goût du collectif » ?
18h45 – 19h Solo (15min)
“ Le goût du collectif — Une question personnelle ? ”
Intervenant : Charles Pépin, Philosophe
La notion du « collectif », du « vivre-ensemble » est en général exclusivement vu par le prisme du politique et du social. Mais elle a aussi un versant spirituel, qui exige de puiser dans nos propres ressources, de trouver son chemin dans un regard intérieur pour le porter ensuite avec générosité vers le monde.
Comment, dès lors, et sans sacrifier la lucidité, trouver le goût des choses (en hébreu, le « sens » et le « goût » sont un seul et même mot) ?
Que faire de l’angoisse, la nôtre et celle des autres, en un temps d’adversité ? Comment trouver la force de continuer à se représenter l’avenir ? Croire, espérer, pour être capable de partager…. Et si le « goût du collectif » commençait par une question personnelle ?
19h – 19h10 Conclusion (10min)
Yann Boissière