Accès des femmes à l’autorité religieuse.
La place des femmes est un sujet au cœur de l’actualité des religions et même de l’actualité des sociétés, un des points de tensions entre les religions monothéistes et l’évolution des sociétés occidentales, de leurs normes et de leurs valeurs. Sujet de crispation, mais l’image de l’opposition frontale est relativisée si on s’attache à regarder la perspective historique, si on observe que les mondes religieux ne sont pas des blocs figés, monolithiques et que des ouvertures se font au-delà des normes.
Les résistances
– Infériorité et impureté
Dans le christianisme : le second récit de création dans la genèse et la lecture qu’en ont faite Augustin puis Thomas d’Aquin, ont participé à construire la différence des sexes et la hiérarchisation du masculin et du féminin ; la métaphore du mariage du Christ et de l’Eglise a fondé la secondarisation des femmes et le contrôle de leur corps et de leur sexualité.
Le Moyen Age oppose la faiblesse physique et morale des femmes, inhérente à leur nature, à la force et la raison masculines. Peuvent échapper à leur statut les moniales, les veuves et les saintes qui adoptent une conduite qui neutralise leur genre. Au 11e la réforme grégorienne impose le célibat des prêtres dans l’église latine et dévalorise encore plus l’image de la femme.
A l’époque moderne, les femmes sont toujours considérées comme inférieures aux hommes en intelligence, plus fragiles, plus vulnérables, plus susceptibles d’être séduites, d’où des règles de clôture beaucoup plus strictes pour les moniales que pour les moines.
A la fin du 19e et au début du 20e, la question du rôle des femmes commence à se poser avec certaines figures féminines comme Thérèse de Lisieux et se repose dans les années 60 lors de la seconde vague féministe. A partir des années 60, ces arguments de faiblesse, de fragilité, ne sont plus acceptés. L’Eglise catholique repense son rapport à la société avec le concile Vatican II et consacre l’égalité baptismale de tous et toutes. L’Eglise va donc devoir relégitimer que seuls les hommes peuvent accéder à la prêtrise. Deux discours fondent cette pratique :
- l’égalité en dignité mais une différence des fonctions, discours très répandu dans les mondes religieux, c’est le principe de complémentarité des fonctions, de la vocation liée au sexe. L’égalité est reconnue dans le cadre économique et social, mais ne doit pas être étendue aux positions d’autorité.
- l’argument de la tradition, rappelé plusieurs fois par Jean Paul II : le Christ n’a choisi que des hommes et le prêtre comme représentant du Christ doit être un homme.
Les arguments de pureté et d’impureté sont censés avoir disparu, mais restent très prégnants dans les mondes orthodoxes : l’espace du sanctuaire est interdit aux femmes (même aux bébés filles), il y a des rituels de purification après l’accouchement, etc. Du côté catholique, les relevailles ne sont abolies qu’après Vatican II. Céline Béraud a mené une enquête sur la place des petites filles à l’autel dans la liturgie catholique dans les années 2007 2008. Trois configurations se présentent :
- tradition : que des garçons à l’autel
- complémentarité : le service de l’autel pour les garçons et celui de l’assemblée pour les filles, avec des fonctions très codifiées, genrées.
- mixité et égalité, filles et garçons ont les mêmes rôles mais très souvent limités à la puberté des filles.
On retrouve là ces notions de pureté, impureté et on voit bien que l’on n’est pas dans un mouvement linéaire mais avec des avancées et des retours arrière.
– Résistances plus globales et culturelles
Lors de Réforme protestante, l’accent a été mis sur le sacerdoce universel des croyants, mais il faudra plusieurs siècles avant que les femmes accèdent au pastorat. Elles y accèdent aux USA au milieu du 19e et en France un siècle plus tard.
L’« opportunité » créée par le départ des hommes à la guerre de 14-18 et la mort des hommes a conduit à ce changement. Des femmes et veuves de pasteur se sont trouvées à conduire des communautés en absence des hommes et cela a perduré après la guerre de manière informelle. En 1943 le statut d’aide pasteur est un premier pas et en 1949 les premières femmes pasteur sont ordonnées en France, mais jusque dans les années 60 il fallait qu’elles soient célibataires. Les pionnières étaient pour beaucoup des femmes ou filles de pasteurs, elles étaient déjà formées à la théologie dans les facultés de théologie et avaient, pour certaines, contribué à un renouveau de l’exégèse biblique.
Dans l’église anglicane, le diaconat féminin a préparé le terrain pour l’ordination des femmes, autorisée par le synode de 1992. La première femme prêtre est ordonnée en 1994, 20 ans plus tard, aura lieu l’ordination de la première femme évêque. Les femmes prêtres seront très vite et très largement acceptées. Une résistance apparait quand le corps genré refait surface, lorsque la femme prêtre est enceinte ou allaite.
Cette accession des femmes au diaconat trouve ses racines dans les premiers temps de l’Eglise où des diaconnesses sont citées, sans que l’on connaisse très bien toujours leur rôle. On comprend que cela fait peur dans les milieux conservateurs de l’église catholique comme premier pas vers la prêtrise des femmes.
Il est nécessaire de s’interroger sur l’autonomie symbolique du religieux par rapport à la société, comment les mondes religieux influencent ou pas les sphères culturelles dans lesquelles ils sont immergés. Il est en fait très compliqué de démêler les imbrications mutuelles.
Les changements
Il y a toujours eu des espaces d’expression et d’action où les femmes se font une place, arrivent à contourner l’autorité masculine cléricale, à la négocier, parfois à la contester.
Dans la mystique, très investie par les femmes, parce que dans la mystique il y a un rapport direct à Dieu et les intermédiaires, les figures d’autorité cléricales sont court-circuitées.
Dans la figure de Marie : toute une dévotion mariale échappe en grande partie à l’institution et l’ésotérisme au 19es se base sur une certaine forme de messianisme féminin à partir de la figure de Marie.
Chez les religieuses et moniales : dans certaines congrégations, les femmes peuvent accéder à des positions d’autorité en fonction de leur rôle dans la société : infirmières, pharmaciennes ; femmes missionnaires qui peuvent trouver une forme d’expression et d’action qui leur est propre, loin des structures institutionnelles. (travaux de Claude Langlois et d’Anne Jusseaume)
Dans les aumôneries de prison et d’hôpitaux, les femmes aumôniers ont un espace d’autonomie. C’est une structure religieuse au sein d’une structure publique. A l’hôpital, 8 aumôniers sur 10 sont des femmes et 1/3 en prison. Il y a là un lieu loin des autorités religieuses où les femmes peuvent faire des bénédictions, des lectures de la Bible, des liturgies de la Parole…
Cela est particulièrement vrai dans les aumôneries musulmanes où tout était à inventer et où l’entre soi féminin permet des avancées silencieuses dans l’enseignement et la prédication.
On assiste là à un changement silencieux, prudent qui se fait modestement, localement et de manière assez consensuelle. On est à l’écart d’une forme de dissidence. Ce sont des choses peu visibles et peu débattues.
La conduite des funérailles est le seul espace dans la liturgie catholique où les femmes sont visibles.
Lors de la deuxième vague féministe, des femmes et aussi des hommes qui accompagnent la cause des femmes au nom de l’égalité et aussi au nom de leur croyance, prennent la parole de manière plus visible, plus forte en faveur de l’égalité, plutôt aux USA et au Canada. Les femmes ont investi les facultés de sciences religieuses et, à l’aide des outils des sciences religieuses, de la théologie et de la patristique, vont revisiter les textes bibliques et l’interprétation qui en a été faite, reformuler les catégories langagières et proposer de nouveaux espaces de responsabilité. Mary Daly est la grande figure de ce mouvement, qui va finir par rompre avec le catholicisme, le considérant comme intrinsèquement patriarcal.
D’autres théologiennes, en particulier Elisabeth Schüssler Fiorenza et Rosemary Radford Ruether, vont produire des recherches à partir des années 70 80. C’est un féminisme religieux qui porte sur la relecture des textes, l’accès à de nouvelles formes religieuses et l’engagement dans différents mouvements. Ce sera assez peu reçu en France.
Ces femmes vivent une double marginalisation, par rapport aux féministes séculières parce que croyantes (donc considérées comme aliénées) et par rapport au monde religieux du fait de leur désir d’accéder à l’autorité. Cette intersection entre féminisme et monde religieux est très inconfortable, mais elle va se décliner dans les mondes chrétiens, dans le judaïsme et plus tard dans le monde musulman dans les années 80. Ce seront d’abord des femmes iraniennes, plutôt des intellectuelles éduquées puis d’autres femmes qui ont étudié, en Europe ou aux USA, et notamment une figure très importante, Amina Wadud, africaine américaine, qui en appelle à une nouvelle lecture et une nouvelle interprétation des textes religieux : le Coran mais aussi les règles du droit et de la justice islamique et revendique un droit à l’égalité. Elle sera en 2005 la première femme musulmane à diriger la prière d’une assemblée mixte à New York.
L’objectif de ces mouvements féministes est de trouver des ressources religieuses pour contester le patriarcat, par exemple dans le christianisme l’attitude de Jésus avec les femmes, elles rejettent la sélection des lettres de Paul défavorables aux femmes et font appel à des figures féminines anciennes éclipsées par les hommes. La même recherche se fait dans le judaïsme et dans l’islam. Un renouveau historiographique met en lumière l’engagement des femmes et leurs prises de responsabilités, avant le 20e s et le fait que cela a été invisibilisé dans les mondes religieux.
Mais les mondes religieux, même ceux qui insistent sur la tradition, ne sont jamais figés, des pratiques vont tomber en désuétude, des normes sont appliquées différemment suivant les pays, des pratiques émergent ici et là, les choses évoluent à bas bruit sans qu’on le voit.
Les controverses.
Ces questions sont devenues saillantes dans les dernières décennies et sont des marqueurs de la diversité et de la pluralité à l’intérieur des mondes religieux.
Dans les différentes dénominations protestantes aux USA, l’accès ou non à l’ordination des femmes est un marqueur pour se positionner comme libérales. Le « plafond de vitrail » est un message culturel adressé par les églises conservatrices à la société, qui manifeste leur résistance à la modernité libérale. Mais des femmes peuvent même dans ces églises exercer des responsabilités importantes alors que des femmes pasteurs peuvent se trouver cantonnées à l’école du dimanche ou aux œuvres de bienfaisance dans les églises libérales.
En France, les femmes catholiques sont peu visibles mais très nombreuses et même indispensables à la marche de l’institution. A l’inverse, les femmes protestantes sont plus visibles, mais n’ont pas les mêmes carrières dans le pastorat que les hommes, ces derniers étant surreprésentés dans les positions les plus prestigieuses.
En France dans le judaïsme, la question de la séparation des sexes était un peu tombée en désuétude dans les synagogues dans les années 60, mais dans les années 80 la séparation va être à nouveau affirmée dans le courant orthodoxe, contrairement aux synagogues libérales ou massorti qui considèrent qu’hommes et femmes doivent être ensemble pour le culte. Et cela ira dans les synagogues libérales jusqu’à la première femme rabbin en France en 1990, Pauline Bebe.
Dans l’église catholique, la question des scandales sexuels, en France et dans de nombreux autres pays, repose la question de l’exercice de l’autorité et de la place de femmes avec l’idée que la mixité permettrait de sortir de l’entre soi favorable au secret. Le synode sur la synodalité est pensé par le Pape pour sortir du cléricalisme, considéré comme la cause des abus sexuels. Si la question de l’accès des femmes à la prêtrise semble fermée, celle des femmes au diaconat semble assez ouverte.
En ce moment, on voit qu’il y a des avancées pour la question des femmes comme pour celle des minorités sexuelles, dans les églises chrétiennes, mais aussi dans le judaïsme et dans le monde musulman, mais aussi des crispations très fortes. On est dans un moment de controverse, un moment violent.