1517–2017
DÉCLARATION FRATERNELLE DU PROTESTANTISME AU JUDAÏSME
FÉDÉRATION PROTESTANTE DE FRANCE
Cette mémoire qui engage
4 décembre 2017
Protestants 2017,
500 ans de Réformes,
Vivre la fraternité
Aude Millet-Lopez, responsable communication
Fédération protestante de France
En 2017, le Protestantisme commémore ses 500 ans d’existence : Martin Luther, en 1517 publiait ses 95 thèses, il initiait alors un mouvement de réforme au sein de l’Église. Les répercussions de ce mouvement se poursuivent jusqu’à aujourd’hui dans des domaines aussi variés que l’éthique, la foi, la culture et également le dialogue interreligieux.
Pour célébrer cet anniversaire, la Fédération protestante de France (FPF) lançait le 18 janvier 2017, lors de ses vœux, l’année « Protestants 2017, 500 ans de Réformes, vivre la fraternité ». Un rendez-vous d’une année entière jalonnée d’événements, de prises de parole publique et d’engagements solennels pour montrer la richesse et la diversité du Protestantisme, rappeler sa longue tradition à être force d’interpellation et de participation au débat public, à contribuer à l’enrichissement de la société et à promouvoir la construction d’un monde plus fraternel.
La remise aux autorités juives de France de la déclaration fraternelle du Protestantisme au Judaïsme Cette mémoire qui engage est le point d’orgue de cette année de commémoration. Jamais auparavant un tel texte n’avait été rédigé, travaillé en amont avec le Judaïsme, afin qu’il puisse être en mesure de l’accueillir et d’y apporter sa réponse.
Par ce geste, la Fédération protestante de France souhaite :
– souligner la richesse des relations avec le Judaïsme passées, présentes et à venir ;
– faire mémoire de ces relations et assumer l’histoire ;
– reconnaître les apports considérables du Judaïsme au Protestantisme et à notre société ;
– prendre un engagement significatif à l’égard du Judaïsme en 2017 ;
– promouvoir l’importance du dialogue interreligieux dans notre société.
En parcourant ce livret vous êtes invités à découvrir cette déclaration remise par la Fédération protestante de France le 4 décembre 2017 aux autorités juives de France, en présence des autorités publiques et des représentants des Cultes. Vous découvrirez aussi les discours prononcés lors de cette cérémonie : la réponse du Judaïsme à cette déclaration à travers la voix du Grand Rabbin de France, Haïm Korsia ; le travail de la commission des relations avec le Judaïsme de la FPF avec le texte du pasteur Roland Poupin, son président et l’allocution du président de la
FPF, le pasteur François Clavairoly.
La publication de cet ouvrage n’est pas un geste anodin, la Fédération protestante de France souhaite faire connaître ce message, le proclamer, l’affirmer et tenir son engagement.
Cher lecteur, en parcourant ce document, vous devenez témoin et relais de cette promesse faite le 4 décembre 2017. Vous êtes donc invité à le diffuser autour de vous, pour que la déclaration Cette mémoire qui engage soit une promesse sans cesse rappelée au Protestantisme et que l’engagement solennel pris en 2017 à l’égard des juifs soit tenu : une promesse de fraternité.
Sommaire
Cette mémoire qui engage
Déclaration fraternelle de la Fédération protestante de France au Judaïsme, à l’occasion du 500e anniversaire de la Réforme
Fraternité et espérance
Haïm Korsia, Grand Rabbin de France
Entre détresses et promesses
François Clavairoly, Président de la FPF
À propos de Cette mémoire qui engage
Roland Poupin, président de la commission des relations avec le Judaïsme de la FPF
Cette mémoire qui engage
Protestantisme et Judaïsme
Déclaration fraternelle de la
Fédération protestante de France
au Judaïsme, à l’occasion du 500e
anniversaire de la Réforme
La Fédération protestante de France se sait aussi redevable d’une histoire à assumer, car l’œuvre de mémoire convoque également le regard critique sur le passé. Ainsi, en cette année 2017, les protestants doivent regarder en face le fait que les acteurs de la Réforme n’ont pas été en mesure de susciter une vision théologique nouvelle du rapport entre l’Église et Israël[1], ni renouveler leur compréhension du Judaïsme. À de rares exceptions près, les réformateurs ont reproduit la pensée antijuive séculaire qui s’enracinait dans une certaine lecture du Nouveau Testament. Ils n’ont pas su s’extraire de l’opposition à Israël dans laquelle l’Église s’était installée.
Dans un XVIe siècle qui n’arrivait pas à concevoir la coexistence de cultes différents et à une époque où la notion de tolérance n’existait pas, le jeune Martin Luther avait publié un écrit manifestant une certaine ouverture, certes ambiguë, dans lequel il reconnaissait la judéité de Jésus – « Que Jésus-Christ est né juif ». Nourrissant l’espoir d’un ralliement à l’Église, il demandait un accueil et une attitude amicale à l’égard des juifs. Mais après les années 1530, ses propos se firent plus durs, atteignant dans trois écrits des années 1542–1543, une violence insoutenable envers eux. Si les efforts de contextualisation des historiens, sans chercher à relativiser ni excuser, en donnent des clés de compréhension, ils n’atténuent en rien leur caractère inadmissible. La Fédération protestante de France rejette ces propos[2] et continue à dénoncer avec la plus grande fermeté l’exploitation qui a pu en être faite. La famille protestante se sent responsable de la manière dont les propos antijuifs de Luther pourraient aujourd’hui encore être instrumentalisés à des fins discriminatoires ou antisémites.
La Fédération protestante de France se sait également héritière d’une affinité particulière que le Protestantisme français a développée avec le Judaïsme. Concentrant sa démarche interprétative sur la quête de l’argument singulier d’un texte biblique, le réformateur français Jean Calvin, trouve à équivalence dans les deux Testaments de la Bible, l’expression d’une norme permanente pour la vie du croyant et celle de l’Église. De ce fait, il accorde à la Bible hébraïque une validité permanente et insiste sur l’unité de l’alliance exprimée par les deux Testaments de la Bible chrétienne. Sa quête de l’Évangile ne l’amène pas à durcir le rapport à la loi. Cette approche particulière qui n’a pas d’emblée porté les fruits qu’elle contenait en germe, a néanmoins suscité une grande familiarité des protestants français avec la Bible hébraïque ainsi qu’une affinité avec les Hébreux, qui est à l’origine de ce lien de solidarité particulier avec les juifs et le Judaïsme. La situation sociologique de religion minoritaire et la mémoire de leur propre persécution ont encore renforcé cette identification largement
partagée à la destinée d’Israël. Dans les heures sombres de l’histoire d’Israël, cette proximité a suscité des actes d’une solidarité exemplaire et mobilisé le soutien vigilant de responsables d’Église, de l’affaire Dreyfus à la deuxième guerre mondiale et aux récentes manifestations d’antisémitisme.
La Fédération protestante de France se sait avant tout engagée par les acquis du processus de dialogue et de travail théologique qui a mis en évidence le lien particulier et indissoluble entre l’Église et Israël. En effet, la tragédie de la Shoah a réveillé les consciences et engagé les Églises dans un processus de révision de leur rapport au Judaïsme. De nombreuses déclarations ont énoncé des principes décisifs, renouvelant en profondeur la nature des relations entre l’Église et le Judaïsme.
La Fédération protestante de France condamne l’antisémitisme[3] sous toutes ses formes, comme cela a déjà été demandé, lors de sa fondation en 1948, par le Conseil Œcuménique des Églises (COE). L’antisémitisme, quelles que soient ses origines, doit être dénoncé « comme une attitude absolument inconciliable avec […] la foi chrétienne. » Il « est un péché à la fois contre Dieu et contre l’homme. » Cette déclaration affirmait également la coresponsabilité des chrétiens, par omission ou par silence, dans la tragédie de la Shoah. La Fédération protestante de France est particulièrement interpellée par l’antisémitisme qui s’exprime dans notre pays ainsi que par le sentiment d’insécurité que connaît la communauté juive en France. Elle reste vigilante afin que soit appliquée la liberté religieuse que garantit le principe de la laïcité en France à tous les citoyens de la République. Elle ne conçoit pas la France sans la présence et l’apport du Judaïsme.
La Fédération protestante de France est consciente du fait que le renoncement à un enseignement teinté d’antijudaïsme et de mépris, reconnu par le COE à New Delhi en 1961, n’est toujours pas pleinement reçu. Trop nombreux sont ceux qui, sans contester la judéité de Jésus, ni l’inextricable lien entre l’élection d’Israël et l’histoire du salut, continuent à véhiculer une image fossilisée du Judaïsme. L’important travail théologique mené au sein du Protestantisme sur sa perception du Judaïsme, tout comme le chemin parcouru au fil des rencontres judéo-chrétiennes, a permis de passer à une meilleure connaissance mutuelle. Il n’a en revanche pas encore suffisamment permis d’extirper des habitudes langagières les propos dommageables, voire méprisants. Un important travail sur le langage demeure à réaliser pour intégrer cette évolution dans l’enseignement, la prédication, la catéchèse et la liturgie. La Fédération protestante de France s’y emploie et y encourage ses membres.
L’élaboration d’une base de réflexion théologique sur la nature de la relation entre les chrétiens et les juifs est assurément, pour les chrétiens, l’aspect le plus exigeant de ce processus. Depuis les années 1980, d’importants principes théologiques ont pu être affirmés :
– la reconnaissance des racines juives de la foi chrétienne ;
– la reconnaissance de l’élection irrévocable du peuple juif ;
– la reconnaissance du lien indissoluble avec Israël, comme élément essentiel de la définition même de l’Église ;
– le rejet de toute théologie de la substitution et d’appropriation exclusive par l’Église de l’héritage juif ;
– l’abandon de toute mission[4] visant la conversion des juifs, affirmation sensible, principalement énoncée par le Protestantisme luthéro-réformé, qui de ce fait, nécessite encore débat et approfondissement au sein de la famille protestante.
Ce travail théologique et biblique n’a pas encore pu lever toutes les difficultés, notamment la tension entre l’universalité du salut en Jésus-Christ et la reconnaissance du Judaïsme comme voie spécifique de rédemption. Il a toutefois mis en évidence, et notamment en vertu de la reconnaissance des racines juives de la foi chrétienne, que le dialogue avec le Judaïsme ne relève, pour les chrétiens, pas simplement de l’interreligieux, mais tient du débat et de la rencontre au sein d’une même famille religieuse. Sur cette base, le travail théologique doit donc encore se poursuivre. La Fédération protestante de France y encourage et s’y engage, notamment afin d’approfondir sur le plan théologique la compréhension du Judaïsme.
La Fédération protestante de France reconnaît et salue dans ce processus l’émergence d’une base de rencontre et de dialogue avec le Judaïsme. Elle honore la mémoire des acteurs de ce mouvement, telle l’Amitié judéo-chrétienne de France fondée notamment sous l’impulsion de Jules Isaac, d’Edmond Fleg, du pasteur Jacques Martin et de Fadiey Lovsky. Elle se sent engagée par ces premiers acquis qui d’une part exigent un approfondissement et d’autre part nécessiteraient une meilleure réception par l’ensemble des Églises et de leurs membres.
La question de la reconnaissance de l’État d’Israël, qui est au cœur de bien des attentes, ajoute une dimension politique à l’attitude chrétienne à l’égard des juifs (COE 1948). Dans les faits, distinguer la dimension politique de la dimension théologique et religieuse n’est pas toujours évident, notamment depuis la guerre des Six Jours qui a divisé l’opinion protestante en France. Les Églises de la Fédération protestante de France sont traversées par ce débat qui s’ouvre sur un large spectre de positions. Les uns, voyant plutôt dans l’État d’Israël la réalisation d’une promesse biblique, lui accordent un soutien quasi inconditionnel. D’autres, se réclamant plutôt d’une éthique des Droits de l’Homme, sont sensibles à la cause du faible et de la victime en lequel ils perçoivent les Palestiniens. Ils soutiennent ces derniers percevant la violence d’État du côté de l’État d’Israël. La Fédération protestante de France pour sa part affirme et reconnaît la légitimité de l’État d’Israël et son rôle central pour le Judaïsme. Elle le fait tout en reconnaissant également la légitimité d’un État palestinien. La Fédération protestante de France appelle à prier pour la mise en œuvre d’une démarche pacifique qui rejette toute forme de violence et privilégie le dialogue, pour l’établissement d’un ordre de droit juste pour les Israéliens et Palestiniens et pour le secours, sans distinction, de toutes les victimes de ce conflit.
Depuis plus de 60 ans, protestants et juifs sont engagés dans une voie qui les amène progressivement à s’extraire d’un passé d’opposition voire de mépris. Ils œuvrent aujourd’hui résolument pour reconnaître et admettre l’irréductible lien entre l’Église et Israël. Sans nier les difficultés ni la singularité de chacun, la Fédération protestante de France s’engage à poursuivre ce travail, notamment selon ces quatre points :
Le dialogue et la rencontre
Il est nécessaire de développer encore les lieux de rencontres, d’échanges, pour toujours approfondir la connaissance mutuelle entre juifs et chrétiens. Les déclarations et les textes sont importants, mais ils ne sauraient remplacer les rencontres interpersonnelles. Dialoguer n’est pas seulement un choix mais à double titre un devoir chrétien : d’une part, pour contribuer à un vivre ensemble pacifié et d’autre part, parce qu’il n’est possible de comprendre l’enseignement de Jésus qu’en le situant dans l’horizon du Judaïsme. La confrontation continue avec les juifs, le Judaïsme du temps de Jésus tout comme leurs traditions vivantes aujourd’hui, est une source de véritable enrichissement pour la foi et permet à chacun de parvenir à une compréhension approfondie de la révélation du Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob. (COE, Foi et Constitution 1967).
L’effort commun d’interprétation
Le Judaïsme et le Protestantisme ont chacun une riche tradition interprétative des Écritures. « Par l’étude de la Torah, la pratique des mitsvot, c’est à dire des commandements divins, par la sagesse qui en découle[5] » les juifs visent à la transformation des cœurs et des esprits. Par l’étude des Écritures et la confrontation à l’autorité de la Bible, les protestants veulent s’exposer à cette Parole à même de changer les cœurs et les esprits. Bien que différentes, ces traditions interprétatives spécifiques portent chacune un riche patrimoine spirituel qui gagnerait à être connu et partagé. En cette époque en quête de repères, de sens et de spiritualité, le Dieu de la Bible, révélé en une parole à interpréter, nous engage à « œuvrer ensemble à la construction de cette fraternité universelle et à l’actualisation d’une éthique commune valable pour le monde entier[6] »
L’engagement dans la République
Les similitudes historiques et sociologiques entre le Judaïsme et le Protestantisme en France ont forgé en leur sein la tradition d’une culture républicaine. Dès son origine, les communautés juives et protestantes ont défendu le principe de laïcité comme garant de la liberté de conscience et de la liberté religieuse. Elles ont construit leurs projets respectifs, dans une logique non de repli communautaire, mais de responsabilité citoyenne. Dans un contexte de dissolution du lien social et de repli communautariste, juifs et protestants ont une voix à faire entendre et une vigilance à exercer.
La promesse encore inaccomplie
Le travail de mémoire, se ressaisissant des racines communes, amène juifs et chrétiens à se considérer comme bénéficiaires d’une même promesse qui esquisse l’horizon d’une même espérance, « celle de voir le monde conduit par Dieu arriver à sa pleine réalisation et à la commune manifestation de son Royaume[7] ». La solidarité et la fraternité entre juifs et chrétiens constituent un jalon significatif de cette espérance suprême qui tend vers cet horizon d’une humanité rassemblée et pacifiée autour du Dieu Un et Unique.
Car « les dons et l’appel de Dieu sont irrévocables » Romains 11, 29
Fraternité et espérance
Haïm Korsia,
Grand Rabbin de France,
Membre de l’Institut
Le dialogue judéo-chrétien est une évidence. Une évidente nécessité. Tout comme l’est d’ailleurs tout ce qui permet plus largement aux religions de se parler, de se connaître et de mieux se comprendre. Il en va de même pour les échanges entre les cultes et toutes les formes de pensées qui œuvrent pour améliorer la société, ou tout au moins l’Homme. Mais la composante judéochrétienne de ce dialogue est au cœur de la nouvelle définition des rapports entre les hommes qui croient, car pour être nécessaire, elle a malheureusement longtemps manqué.
J’ai, en ce qui me concerne, toujours trouvé une sorte de complicité des textes et de l’humour avec les pasteurs, et je veux souligner la spécificité des relations judéo -protestantes dans le spectre plus large des relations judéo-chrétiennes. Le partage du Livre est commun à toutes les religions abrahamiques, mais la capacité d’interprétation de ce texte sacré rapproche plus encore les juifs et les protestants.
Les Huguenots français sont bercés par la Bible du canon hébraïque et ont été novateurs en parlant de « premier » et non plus d’« ancien » Testament. La différence si ténue et si importante s’entend non plus comme une substitution de l’ancien par le nouveau, mais comme une continuité entre le premier et le second. Et lorsque la Révolution a fait de tous les Français des citoyens de plein droit, même s’il fallut attendre deux ans de plus et le 27 septembre 1791 pour les juifs, c’était une façon de faire de tous les enfants du pays, quels que soient leur religion ou leur statut social, des acteurs de tous les immenses chantiers de la France à réinventer. Plus modestement mais avec toujours l’intérêt public à l’esprit, juifs et protestants se retrouveront autour de ceux qui pensent une France ouverte et accueillante et poussent à des avancées sociales diverses et progressistes. Et les irréductibles et nauséabonds opposants antisémites et maurrassiens de cette République ne s’y trompèrent pas en focalisant leurs attaques contre le « judéo-protestantisme » supposé de la « gueuse ».
Bien avant la Révolution et jusqu’à la Seconde Guerre mondiale encore, les villes et les territoires protestants ont toujours offert un destin plus serein aux juifs, de Cromwell à Amsterdam pour les Marranes, des États-Unis au Chambon-sur-Lignon aussi. Si tant de juifs ont trouvé refuge dans les territoires protestants dans les terribles années sombres de notre histoire, ils le doivent à Calvin et à sa théorie de la continuité qui clame que le christianisme est issu du Judaïsme, ce qui est une grande nouveauté pour l’époque, et que les juifs ne sont pas des chrétiens potentiels promis à une conversion collective. C’est une différence fondamentale avec la vision de Luther qui, ne l’oublions pas, voulait déjà brûler les juifs, ou tout au moins utiliser tous les moyens les plus terribles afin de les ramener à la véritable foi chrétienne. Mais si cette vision nous heurte, elle ne doit pas masquer l’élan que Luther a imprimé à l’espérance. C’est la grandeur du Protestantisme d’être capable, en condamnant avec fermeté ces errements, de capitaliser sur cet élan pour vivre et dire mieux que moi cette espérance de réconciliation.
Plus concrètement, la Réforme inscrit les références bibliques juives dans la culture européenne et française en particulier, et surtout, elle s’oppose à la véritable chasse aux juifs d’un Drumont et sa « France juive » qui trouvait un grand écho dans l’opinion, surtout au cœur de l’affaire Dreyfus. Mais de manière plus simple et très concrète dans l’espace public, un Moïse, un Jérémie, un David, un Aaron, une Sarah, une Bethsabée ou une Rachel pouvaient être juifs ou protestants, car dans la « petite Canaan » autour de Nîmes et majoritairement protestante, beaucoup choisissaient pour leurs enfants des prénoms bibliques. Et il est évident que si l’on réhabilite la culture juive, il n’est plus possible de prétendre que les juifs sont un peuple déicide. On ouvre ainsi l’espace à ce que Jules Isaac avait appelé « le passage de l’enseignement du mépris à l’enseignement de l’estime ».
Si les juifs sont formellement expulsés de France en 1306, plus de 200 000 protestants fuient la France au temps de la répression et les temples huguenots sont rasés à la fin du XVIIe siècle. Le terme de huguenot lui-même est une forme d’insulte, comme le furent les mots juif ou marrane. Plus largement, les protestants se voient comme les Hébreux quittant l’Égypte et vivant un autre exode qui les mène au désert. Beaucoup font le parallèle entre la révocation de l’édit de Nantes en 1685 et l’expulsion des juifs d’Espagne en 1492. Les désastreuses conséquences économiques, culturelles et sociales pour les pays d’origine sont assez proches dans les deux cas.
Ces proximités se retrouveront en particulier autour de l’affaire Dreyfus. Les protestants s’engagent dans le dreyfusisme parce que leur mémoire garde profonde la trace de la Saint-Barthélemy, de la révocation de l’édit de Nantes et surtout de l’affaire Calas. Au delà de l’engagement mémoriel, il y a chez les protestants cette dimension qui fait prendre la défense du juste condamné de façon inique, et ce sera la motivation première d’un Scheurer-Kestner, d’un Schlumberger ou d’un Halévy.
C’est donc tout naturellement que le Protestantisme français s’élève contre le nazisme par sa plus haute autorité qu’est le pasteur Marc Boegner, qui condamne énergiquement l’antisémitisme dans une conférence le 13 juin 1939 sur l’Évangile et le racisme. Le 23 juillet 1941, les groupes de la jeunesse protestante avaient décidé que nul ne serait exclu de leurs mouvements à cause de son origine ou de sa race. Après quelques hésitations dues à la présence de certains protestants dans les cercles du régime et dans l’entourage de Pétain, le pasteur Boegner dira sa honte devant le second statut des juifs de juin 1941 et il dénoncera « la livraison » des juifs étrangers à l’Allemagne en août 1942. C’est aussi le moment du réveil des consciences de l’Église catholique avec les lettres pastorales de Monseigneur Saliège de Toulouse et de Monseigneur Théas à Montauban. Ceux-ci ne représentaient qu’une minorité au sein de leur Église alors qu’une bonne partie du monde de la Réforme, ou presque, est déjà en marche pour la justice.
Et lorsqu’il faut s’engager plus radicalement, les pasteurs se mobilisent. Ainsi, Daniel Trocmé qui est directeur de la Maison des Roches au Chambon-sur-Lignon et qui accueille des étudiants juifs est arrêté le 29 juin 1943 avec 18 étudiants juifs et déporté à Maïdanek où il meurt en déclarant être juif afin de ne pas être séparé de ses protégés. À Nîmes, les juifs sont exfiltrés dans les bus qui vont aux cérémonies du Désert, il en va de même dans les Cévennes ou dans le Sud-Ouest, et partout en France se met en place le « ministère de l’assistance et de l’accueil des juifs », selon la belle formule de Boegner. La Cimade œuvre à la libération d’enfants et en recueille d’autres alors que des réseaux se mettent en place pour fournir de faux documents, des caches et des possibilités de quitter la France.
En fait, ce qui revient toujours entre juifs et protestants est la Bible et ce que nous appelons la loi orale, qui requiert un regard exégétique et respectueux à la fois sur le texte, et ce que le monde protestant appelle la critique biblique. L’apport de l’interprétation du Judaïsme est essentiel, mais il nous faut, dans le Judaïsme, mieux appréhender la spécificité protestante. Et cela ne se fait que par des échanges, une meilleure connaissance réciproque et un partage des combats communs pour l’Homme et sa dignité.
L’enjeu est celui de la transmission, certes différente, mais réconciliée autour des valeurs fondamentales d’espérance de nos religions respectives qui convergent vers la conviction que c’est à l’Homme de porter la responsabilité d’un monde meilleur à bâtir.
Nous sommes, juifs et chrétiens, appelés à être à la fois sentinelles et messagers, tel ces veilleurs qui guettent la nuit du chapitre XXI d’Isaïe. En effet, notre sensibilité commune au statut de tous les minoritaires, notre écoute de l’appel biblique à aimer l’étranger « car tu as été étranger en terre d’Égypte », notre rôle de passeurs d’histoire et de mémoire nous obligent.
Il y a un véritable enrichissement à connaître d’autres formes de spiritualité. Il ne peut être question de syncrétisme, mais rien n’est plus beau que la rencontre des frères. Les frères ont les mêmes parents, les mêmes racines, et pourtant ils sont différents. Nos religions ont la même source divine et pourtant notre façon de servir l’Éternel est si différente… et si proche à la fois. Je suis ce que je suis, mais j’apprends des catholiques la foi du charbonnier, je veux apprendre des protestants ce sentiment de responsabilité personnelle et cette capacité à retourner au texte, et des musulmans, j’écoute la soumission si belle à Dieu. Et pourtant je reste ce que je suis mais avec le plus que chacun m’a offert pour mieux être dans mon Judaïsme. J’apprends également de l’athée qui puise dans sa volonté de bâtir un monde meilleur la force de son engagement au service des autres. Rien n’est contradictoire si le résultat est meilleur pour tous.
Lorsque Moïse revient en Égypte, il a peur de blesser son frère aîné, Aaron, en prenant la tête du peuple, comme Dieu le lui demande. L’Éternel le rassure en affirmant : « Il te verra et se réjouira dans son cœur ». C’est ce verset qui doit illustrer la rencontre entre les religions, tout comme notre idéal républicain.
Or il est beaucoup plus facile d’énoncer cette vérité que de la réaliser car si la liberté et l’égalité sont des valeurs relativement objectives, la fraternité est toujours à améliorer puisque ce n’est pas un état de fait mais une vocation que porte si justement la parole de Joseph, juste avant que ses frères se saisissent de lui dans le but de le tuer : « Ce sont mes frères que je cherche ».
J’aime à citer le pasteur François Clavairoly qui affirme toujours que la fraternité est à la fois du ressort du domaine républicain et du domaine spirituel. C’est notre apport à la France que de réenchanter cette belle valeur.
Le dialogue interreligieux est essentiel à une meilleure connaissance et donc une meilleure compréhension réciproques entre les trois religions du Livre. Nous appartenons à la même culture, croyons aux mêmes valeurs, adorons le même Dieu, sans syncrétisme, mais avec la conscience que notre parenté doit nous permettre de cheminer ensemble sur les voies de la vérité, de la confiance, de l’estime. Car nous savons, et l’actualité récente nous le démontre amplement s’il en était besoin, que l’enfermement, la certitude d’être seuls dans le vrai peuvent conduire aux pires excès, à la négation de ce qui fait de nous des êtres humains, créés à l’image de l’Éternel.
Mais nous savons également que seule la connaissance et le respect mutuels permettront de sauvegarder ce qui fait notre humanité, l’ouverture à l’autre, l’attention au prochain. Se mettre au service du rapprochement et de la concorde, c’est d’abord servir la paix. Et je formule, avec Henri Bergson le souhait « que l’avenir ne soit plus ce qui va arriver, mais ce que nous allons en faire ».
La Bible, quand elle nous rapporte l’histoire de fratries, évoque souvent des conflits, générateurs de longues périodes de séparation, puis de retrouvailles fondatrices : Isaac et Ismaël, Jacob et Esaü, Joseph et ses frères… Les trois religions du Livre ont longtemps entretenu des relations conflictuelles, et une séparation défiante entre elles. Le demi-siècle qui vient de s’écouler nous annonce le rapprochement entre des femmes et des hommes de bonne volonté, déterminés à promouvoir la paix. C’est l’espérance que je porte, et le sens de l’action que je mène au service du Judaïsme français, de mon Prochain et de la France.
Voici, qu’il est bon et qu’il est agréable que des frères résident unis ensemble ! Psaume 133, 1
L’Éternel sera roi sur toute la terre ; en ce jour, l’Éternel sera un et unique sera son nom. Zacharie, XIV, 9
Entre détresses et promesses
François Clavairoly
Président de la Fédération protestante
de France
L’histoire des relations entre juifs et chrétiens est bimillénaire. Il faudra encore beaucoup de temps pour apprendre à la relire ensemble et pour mieux la comprendre. Il faudra beaucoup de patience à nos cœurs pour que les détresses d’hier laissent enfin place aux promesses encore inaccomplies. Et il faut la confiance.
Or je sais que nous l’avons. La déclaration fraternelle que nous avons souhaité adresser au Judaïsme français veut être un signe irréfragable de la confiance que Dieu nous offre aux uns et aux autres, et j’en suis aujourd’hui profondément heureux.
Je voudrais rappeler à chacun de nous, trois jalons importants dans cette longue histoire, mais dans l’histoire la plus récente, celle du XXe siècle, pour y saluer fraternellement le Judaïsme à chacun de ces moments.
À la suite de la Conférence de Seelisberg de 1947 est créée en 1948, en France, l’association Amitié judéo-chrétienne dont le pasteur Jacques Martin est vice-président du bureau et dont le professeur protestant Fadiev Lovski[8] fait aussi partie, deux hommes liés d’une longue amitié avec Jules Isaac, l’un des acteurs majeurs de ce dialogue devenu nécessaire. C’est le premier jalon.
Au même moment, le Conseil Œcuménique des Églises, créé en 1948, qui rassemble la majorité des Églises protestantes et orthodoxes du monde, reprend à son compte la réflexion sur ce dialogue. Le premier texte adopté par l’Assemblée d’Amsterdam cette année-là est d’un grand intérêt : la présentation indigne de la soi-disant responsabilité « des juifs » dans la mort du Christ est fermement rejetée et l’antisémitisme y est condamné comme « péché contre Dieu et contre l’homme » : « Israël occupe une position unique dans le dessein de Dieu… Nous demandons à toutes les Églises représentées ici de dénoncer l’antisémitisme, quelles que soient ses origines, comme une attitude absolument inconciliable avec la profession et la pratique de la foi chrétienne. L’antisémitisme est un péché à la fois contre Dieu et contre l’homme »…
Et la FPF, pour sa part, crée la Commission de dialogue avec le Judaïsme cette même année 1948. C’est le deuxième jalon.
Le troisième jalon est celui que constitue la parution, au plan européen, du texte Église et Israël[9] (2001) qui est le fruit du travail de la Communion des Églises protestantes en Europe. Ce texte est introduit par une partie historique qui rappelle la situation de chaque pays et de chaque Église dans leur rapport au Judaïsme. Il aborde la question centrale en Protestantisme de l’interprétation des Écritures : « L’Église lit et comprend les Écritures saintes d’Israël, c’est-à-dire l’Ancien Testament, à la lumière de la révélation en Christ. Dans le même temps, l’Église lit et comprend le témoignage néotestamentaire rendu au Christ à la lumière de son Ancien Testament… ». Et il poursuit sur Israël et l’Église en écrivant : « Il n’est question dans le Nouveau Testament ni du fait qu’Israël aurait été déshérité ni de son remplacement en tant que peuple de Dieu… On abuse du titre de “peuple de Dieu” si, en désignant l’Église par ce terme, on dénie ce même titre à Israël »…
Il rappelle que la théologie de la substitution est fausse, qu’il faut s’interroger sur la place de l’Église dans une alliance unique dont Israël et l’Église sont les bénéficiaires, et abandonner la mission auprès des juifs. Enfin, il affirme la solidarité qui lie l’Église à Israël, le document autorisant évidemment un regard critique sur la politique de l’État d’Israël.
L’orientation du document est délibérément tournée vers l’espérance puisque il énonce : « La foi des chrétiens et des juifs participe aussi à une espérance commune, celle de voir le monde conduit par Dieu arriver à sa pleine réalisation et à la commune manifestation de son royaume… ».
En France, ce texte inspirera notamment les travaux du colloque FPF de 2010 Foi protestante et Judaïsme[10], dont l’objectif était que les Églises membres de la FPF s’approprient le questionnement essentiel pour la foi, qui est celui de son rapport au Judaïsme. Il nourrira aussi l’esprit de la déclaration qui nous réunit aujourd’hui.
Nous pouvons noter que les questions touchant les deux traditions religieuses, juive et protestante, sont des questions passionnantes et vives : comment comprendre la permanence de l’antisémitisme aujourd’hui, pour mieux le combattre ? Comment vivre le rapport laïcité–vie communautaire dans la République française ? Comment assumer la pluralité d’interprétations des textes bibliques ? Quelle parole d’ordre éthique prononcer quand les sujets divisent ? Que signifie Jérusalem, comment lire l’actualité politique et religieuse en Israël, et surtout, quelle pédagogie commune inventer et déployer inlassablement pour mieux nous connaître et nous reconnaître les uns les autres ?
Toutes ces questions sont traitées entre nous dans la conscience claire que chacune des traditions religieuses est elle-même traversée en son sein par des débats, des tensions internes non résolues. Le dialogue n’est donc pas dual ou antagoniste mais tentative humble et persévérante d’une recherche commune.
C’est pourquoi, malgré les détresses qui ont tant marqué leurs mémoires respectives, Protestantisme et Judaïsme se considèrent comme convoqués chaque jour à la confiance[11] et engagés sur le chemin exigeant du dialogue. Un dialogue aux promesses encore inaccomplies, certes, mais dont l’horizon désigne, attend et appelle une réconciliation.
À propos de
Cette mémoire qui engage
Roland Poupin, président de la
Commission des relations avec le
Judaïsme de la FPF
Au moment où nous célébrons le cinquième centenaire de la Réforme, il nous revenait de dire, de vous dire, à nouveau, notre fraternité, la fraternité entre juifs et chrétiens, trop souvent ignorée au cours notre histoire. Depuis plusieurs décennies, la Fédération protestante de France, par sa commission pour les relations avec le Judaïsme, s’attache à faire avancer les acquis, par le dialogue, par des colloques de réflexion et de travail, invitant les Églises à penser toujours plus fraternellement leurs relations avec les juifs. Au cœur de ces acquis, depuis la seconde moitié du XXe siècle, les Églises protestantes affirment que l’alliance de Dieu avec Israël n’a jamais été abrogée. Au point qu’un pas supplémentaire peut désormais être franchi : percevoir la non-conversion d’Israël au christianisme comme fidélité à l’alliance dont le garant est Dieu qui s’y est engagé. Fidélité d’Israël à l’alliance, aux livres bibliques qui la disent, à une terre qui la signifie – cela à travers une histoire qui se déploie et qui fonde notre mémoire, une mémoire partagée, cette mémoire qui engage !
« La mémoire est l’avenir du passé » écrit le poète Paul Valéry (Cahiers I, Mémoire). L’avenir, notre avenir forcément commun : il n’y a qu’un monde partagé. Et l’avenir, qui n’existe pas encore, n’advient que par ce que notre mémoire reçoit du passé…
Notre avenir se fonde sur notre relecture mémorielle d’un passé – aujourd’hui 1517 – qui en soi n’existe plus que par la relecture que nous en faisons. Relire, si possible ensemble.
Relire. Nous voilà avec une des étymologies du mot « religion », remontant à Cicéron (1er siècle av. J.C.) : la religion consiste selon lui à une relecture, du verbe « relire », « relegere » en latin. Relecture aujourd’hui dans une cité commune, se particularisant dans des cultes irréductibles les uns aux autres, mais reliés de toute façon, selon l’autre étymologie de « religion », celle de Lactance (IVe siècle ap. J.C.), rattachant le mot au verbe « religare », « relier ».
On a là quelque chose d’essentiel de ce qui ouvre l’avenir auquel la mémoire nous engage : une relecture d’un passé qui ne cache pas les blessures, mais aussi, et à travers cela, une relecture qui nous relie, pour un avenir fraternel…
Le passé ne nous advient que par les récits que nous en faisons, les récits par lesquels nous relions les faits à l’aune des relectures que nous en donnons, que nous nous en donnons. C’est déjà ce que fait la Bible, la Bible hébraïque, les écrits des prophètes d’Israël relus et relus encore, nous reliant à ce qui nous fonde et nous engage toujours à nouveau.
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Célébrant en 2017 le cinquième centenaire de la Réforme, quel passé en faisons-nous surgir ? La Réforme s’ouvre en 1517 par une parole de libération reçue des Écritures, selon le principe sola scriptura, l’Écriture seule. Luther cite cette parole via l’apôtre Paul, en écho à celle qui la fonde : la même parole de libération adressée, dans la Bible hébraïque, au prophète d’Israël Habacuc (2, 4) : « le juste vivra par la foi ».
Le principe du sola scriptura portera de nombreux fruits dans l’ordre de l’interprétation, y compris des fruits inattendus de la part de Luther lui-même : libérer l’Écriture, en effet, en revient aussi à en libérer la lecture et l’interprétation…
La question de l’attitude indéfendable de Luther envers les juifs est liée à ce que, opposant la Loi et l’Évangile, il place la Bible hébraïque au second plan. Certes, il enseigne les textes de la Bible ; les Psaumes, notamment, ont été décisifs dans sa compréhension de la foi, de même que le texte d’Habacuc. Mais la lecture qu’il en fait, délibérément christocentrique, délégitime à ses yeux toute autre lecture :
Les juifs ne recevront pas ses arguments christocentriques et ne se convertiront pas ? Luther s’emportera, alors, et de plus en plus violemment.
La compréhension d’un autre réformateur, Calvin, qui s’exprime dans ce principe : scriptura sui ipsius interpres « l’Écriture est sa propre interprète », permet en revanche de discerner la pérennité de l’alliance de Dieu avec Israël : celle-ci ne peut pas être abrogée, affirme-t-il, car elle repose sur la fidélité de Dieu dont témoignent les textes, et elle garde, comme loi, sa force de réparation du monde.
Même si Calvin, en affirmant la pérennité de l’alliance du Sinaï, n’en tire pas lui-même toutes les conséquences, cette compréhension autorisera une lecture qui ne soit pas immédiatement christologique et regardera positivement une lecture juive de la Bible hébraïque. Est-ce cette conviction qui a marqué, entre autres, la mémoire des justes cévenols agissant durant la seconde guerre mondiale dans un refus radical de tout antisémitisme ?…
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Malgré tout, les chrétiens avaient trop appris, jusqu’à la catastrophe de la Shoah, à lire l’existence du Judaïsme comme fruit d’une infidélité des juifs à l’égard de leurs propres livres. Un travail sérieux de mémoire rend possible un autre regard à ce sujet : il n’y a pas d’infidélité des juifs à l’égard de leurs livres, pas plus qu’il n’y a pas d’infidélité des chrétiens à l’égard des leurs : il y a deux fidélités qui méritent, chacune, respect, estime, intérêt attentif.
Et l’on pourrait étendre ce travail de guérison des mémoires à tout dialogue inter convictionnel : personne n’est à considérer comme infidèle à ce qu’il a reçu ; mais une mémoire partagée doit pouvoir être tissée pour que l’avenir de notre passé soit un avenir fraternel.
Cela nous ramène au sens de ce mot de « religion » comme ce qui nous relie – en l’occurrence, qui nous relie à l’ultime, à ce qu’il y a de plus intime en nous, aux profondeurs spirituelles qui nous fondent les uns et les autres et qui émergent dans la mémoire collective.
L’entière guérison des blessures de l’histoire est hors de notre portée, nous le comprenons bien. Elle ne saurait relever, nous le pressentons comme un mystère, que d’un contact intime, au plus profond de nous, plus profond encore que le mal indicible, avec une parole qui nous rejoint inconditionnellement, nous touche plus profondément que les plaies de l’histoire.
Une parole telle que celle qui nous est donnée, héritage de mémoire bénie, celle, à nouveau, de la Bible hébraïque, au livre du prophète Ésaïe : « Je t’aime d’un amour éternel », dit Dieu, garant lui-même de l’alliance, affirmant : « quand les montagnes s’éloigneraient, quand les collines chancelleraient, mon amour ne s’éloignera point de toi, et mon alliance de paix ne chancellera point, dit le Seigneur, qui a compassion de toi » (Ésaïe 54, 10).
Cette mémoire enfouie, mémoire d’éternité, est celle-là même qui nous engage, les uns à l’égard des autres, et ensemble, au-delà de nos différences irréductibles, et même par nos différences irréductibles, à une vocation partagée au cœur du monde.
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La Commission des relations avec le Judaïsme de la FPF
Nommée par le conseil de la Fédération protestante de France, la Commission des relations de la FPF avec le Judaïsme est chargée d’informer la FPF en vue d’une meilleure connaissance du Judaïsme au sein du Protestantisme français. Elle contribue à faciliter le dialogue avec le Judaïsme, en particulier sur les questions d’actualité pour en discerner les enjeux éthiques, sociaux politiques ainsi que sur les questions théologiques et religieuses. Elle assure notamment les dialogues avec le Consistoire central et le Conseil représentatif des instances juives de France (CRIF).
Elle travaille à mettre en œuvre et à diffuser des moyens pédagogiques, pratiques et adaptés, selon les destinataires, pour aider les membres de la FPF dans leur action et leur réflexion sur toutes ces questions.
Composition de la Commission des relations de la FPF avec le Judaïsme : Alain Boyer, Ivan Carluer, Christian Krieger, Olivier Maire (secrétaire), Alain Massini, Roland Poupin (président), Matthieu Richelle, Danielle Vergniol, Évelyne Will-Muller.
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La Fédération protestante de France tient à remercier tout particulièrement :
– le Grand Rabin de France, Monsieur Haïm Korsia ;
– le Consistoire central et son président, Monsieur Joël Mergui ;
– le chœur de la grande synagogue de Paris placé sous la direction de Jean-Marc Thoron.
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La Fédération protestante de France (FPF) rassembleune trentaine d’unions d’Églises et plus de 80 associations représentant environ 500 communautés, institutions, œuvres et mouvements protestants. Organe représentatif du protestantisme français auprès des pouvoirs publics, la FPF diffuse la parole publique protestante et valorise l’actualité de ses membres auprès des médias. La FPF veille à la défense des libertés religieuses, à favoriser le dialogue avec les autres religions et à encourager les relations et les initiatives communes en son sein.
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© FPF, novembre 2017.
[1] Dans cette déclaration, le terme « Israël » désigne le Judaïsme. Pour évoquer l’État, on spécifiera toujours « État d’Israël ».
[2] Voir aussi à ce propos la déclaration du 7 juin 2017 Luther, les juifs et nous aujourd’hui, à l’initiative du président de l’UEPAL.
[3] Contrairement à l’antijudaïsme, qui suppose un certain nombre de caricatures théologiques, l’antisémitisme tire sa haine des juifs de considérations fondées sur de supposées différences raciales.
[4] La « mission aux juifs » était un terme utilisé par les Églises pour qualifier leur démarche prosélyte visant à convertir les juifs au christianisme. La reconnaissance du Judaïsme comme voie spécifique de rédemption, comme l’énonce le texte Église et Israël de la Communion d’Églises protestantes en Europe (2001), exige l’abandon d’une telle mission. Cet abandon n’est pas à confondre avec un renoncement au témoignage, affirmation de sa foi, qui peut aboutir à une conversion, tant au christianisme qu’au Judaïsme.
[5] Jean-François Bensahel, Philippe Haddad, Rivon Krygier, Raphy Marciano, Franklin Rausky, Déclaration pour le Jubilé de fraternité à venir, Une nouvelle vision juive des relations judéo-chrétiennes, 23 novembre 2015.
[6] ibid.
[7] Formulation trouvée sous la plume de Matthieu Arnold citant les travaux préparatoires au texte Église et Israël de la Communion d’Églises protestantes en Europe (2001).
Voir Matthieu Arnold, Protestants et Juifs depuis la Shoah jusqu’aux déclarations de repentance du début du XXIe siècle (France, Allemagne), in Sens, Juifs et chrétiens dans le monde aujourd’hui, n°314, janvier 2007, p. 19-39 (p. 37).
Pour le texte Église et Israël, voir www.ajcf.fr.
[8] Voir Fadiev Lovsky, L’antisémitisme chrétien, Cerf, Paris, 1970.
[9] Voir Foi et Vie, février 2002
[10] Voir www.protestants.org.
[11] Michel Leplay, Les Églises protestantes et les juifs, Olivétan, 2006.