Dominique Avon rappelle que dans les années 2010, il y a eu le rêve d’un « printemps arabe », l’idée derrière ce terme était que les sociétés du monde arabe majoritairement musulman allaient se doter d’institutions démocratiques sous l’impulsion de la jeunesse, « jeunesse 2.0 » en connexion avec le reste du monde. Au sein de ces mouvements, il y avait des mouvements d’opposition qui parlaient au nom de l’Islam et pourraient jouer leur partition au sein de l’alternance politique à la manière des partis démocrates chrétiens, comme la CDU en Allemagne et s’intégrer dans le jeu parlementaire. Les politologues annonçaient aussi la fin de « l’islamisme »[1]. Il y avait une erreur d’analyse dans les observations qu’ils pouvaient faire.
En 2019, parmi ces états où des mouvements populaires ont conduit à renverser des régimes, Tunisie, Lybie, Egypte, Syrie, … le seul qui ait émergé est la Tunisie ; la Lybie est aux mains de clans, la Syrie est déchirée, sous occupation, a connu 360 000 morts ; l’Egypte a vu l’instauration d’un régime autoritaire militaire ; le Yémen, qui s’est soulevé en partie, est en proie à une guerre civile et sous occupation…
Dans le même temps, trois états, l’Iran, la Turquie et la Russie se sont mis à agir de manière impériale, à l’image des empires perse, ottoman et russe du 18ème siècle. Ces deux derniers états sont en relation avec l’Arabie Saoudite et Israël, deux autres acteurs centraux de la région.
Une clé d’explication de la situation est : les rapports de force internationaux, les enjeux politiques et économiques. Mais il y a aussi une dimension religieuse de la géopolitique et il existe des enjeux religieux dans les actes et les discours des responsables. Les enjeux religieux sont une clé insuffisante, mais nécessaire.
Le rapprochement actuel entre la Russie et l’Arabie Saoudite ne s’explique pas par des enjeux religieux mais par des intérêts économiques : ce sont les deux principaux producteurs de pétrole ; la clé religieuse ne fonctionne pas, au contraire.
La clé religieuse ne fonctionne pas non plus dans l’occupation du nord de la Syrie par la Turquie après deux opérations militaires (bouclier de l’Euphrate, 2016 et rameau d’olivier, 2018). C’est un enjeu national turc contre les kurdes et là il n’y a pas de dimension religieuse.
3 types de contradicteurs à cette dimension religieuse de la géopolitique :
- ceux pour qui le religieux n’existe pas et n’est qu’un déguisement du politique
- ceux pour qui le prescrit n’a pas de poids, c’est-à-dire quand un responsable religieux dit « il faut faire ça au nom de … », ça n’est pas important. Si, c’est important.
- ceux pour qui le religieux est forcément positif, s’il y a violence et haine c’est parce qu’il y a dévoiement de la religion. La religion est ce que les acteurs au nom de la religion en font.
La religion est ce que les acteurs au nom de la religion en font.
La dimension religieuse permet d’expliquer les conflits entre fidèles de confessions différentes, (sunnites/chiites) mais aussi au sein d’une même confession (sunnites). Dans la région les sunnites sont majoritaires et la dimension religieuse est une clé de ces conflits. Lorsque les sunnites se battent entre eux, ce qui est en jeu, c’est la règle de la cité. Les responsables politiques et religieux disent « il y a une loi au dessus de tout qui est la loi de Dieu et si on applique cette loi on créera la cité idéale ». Mais ça ne marche pas ; il faut qu’on étudie pourquoi cette règle de la cité idéale, en lien avec une loi attribuée à Dieu, ne fonctionne pas. Ce qui est en jeu fondamentalement, c’est cela.
Trois temps dans la réflexion : la géopolitique puis le droit et les enjeux philosophiques en lien avec la religion et enfin comment perçoit-on l’altérité ?
1 – conflits inter et intra communautaires
1 -1 Al Qaidah et Daech
Ce sont deux réseaux sunnites.
Al Qaïdah (la base) est né d’une réaction de militants sunnites à la logique étatique appliquée par l’Arabie Saoudite lors de la seconde guerre du golfe (90-91) : ces combattants musulmans (dont Ben Laden) n’admettaient pas la présence de soldats américains (mécréants) sur le sol de l’Arabie Saoudite, sol sacré sur lequel il ne peut y avoir d’autres combattants que musulmans. Al Qaïdah nait de ce rejet de l’acte de la dynastie saoudienne et essaie de s’établir à Khartoum, puis Islamabad et enfin à Kaboul après 1996. De là il organise des actes terroristes, dont les attentats du World Trade Center en 2001. Il y a bien ici une motivation religieuse, revendiquée par Ben Laden. Ben Laden est traqué, tué en mai 2011.
Entre temps nait un 2ème réseau qui a justifié son action au nom de la religion. Daech nait de combattants d’Al Qaïda en désaccord sur la stratégie et dans le contexte d’un conflit inter-communautaire entre sunnites et chiites en Irak, après l’invasion américaine de l’Irak en 2003. En Irak il y a 3 communautés, 2 confessionnelles (chiites et sunnites) et une linguistique ou ethnique (kurdes). Il y a eu un conflit entre des sunnites et des chiites, de ce conflit est né Daech. Les responsables de Daech ont développé un réseau, à cheval entre la Syrie et l’Irak, non plus contre les mécréants de l’Ouest, mais contre les « négateurs » musulmans : les chiites. Ils rejettent la stratégie d’attentats à travers le monde et veulent territorialiser un état musulman pur. La guerre civile en Syrie est une aubaine pour eux, la destruction de l’appareil de l’état a laissé le champ libre aux combattants, ils se sont établis à Rakkah puis ont lancé l’offensive vers l’est. Après la prise de Mossoul en 2014, ils établissent un califat avec le calife El Bagdadi. Bien que celui-ci soit reconnu par peu de personnes, des musulmans sunnites du monde entier affluent pour combattre sur ce territoire, entre 2014 et 2017.
Ce qui a posé des problèmes aux responsables sunnites, politiques ou religieux. Pour eux l’enjeu premier n’est pas à l’intérieur du monde sunnite mais du côté des chiites qui, depuis 2003, avaient créé comme un croissant chiite de Téhéran à Bagdad, Damas et Beyrouth, qui coupe les terres sunnites. L’établissement du califat coupe ce croissant chiite. Certains y voient une aubaine, d’autres pensent que Daech va trop loin.
Après la proclamation du califat et surtout après les attentats, il y a eu des dénonciations. Mais jusqu’à un certain point : mettre des gens en esclavage, imposer la « jizya » aux non musulmans, ce n’est pas bien mais c’est conforme à l’héritage islamique, c’est ce qui est enseigné dans les universités religieuses et en particulier à l’université d’Al Azhar au Caire. C’est d’ailleurs ce que font remarquer les responsables de Daech, « nous, nous appliquons ce que vous enseignez ». En 2014 un congrès de responsables religieux à Al Azhar décide qu’on ne peut pas exclure les membres de Daech hors de l’Islam, par contre on va les condamner lorsqu’ils commettent des actes qui ne sont pas bons. Mais le cheikh d’Al-Azhar condamnera Daech lors de l’épisode du pilote jordanien brûlé car celui-ci était un musulman sunnite.
La logique des responsables religieux est « ils commettent des actes mauvais, ils ne devraient pas le faire, mais on ne peut pas dire que ce qu’ils font, nous ne l’enseignons pas ». C’est là l’enjeu.
1 -2 Le croissant chiite et le bloc sunnite
Il existe dans le monde musulman l’OCI (Organisation de la Conférence Islamique devenue Organisation de la Coopération Islamique en 2011), créée en 1969, qui regroupe 57 états, soit ¼ des états dans le monde, seule organisation internationale confessionnelle.
A l’été 2012 : tensions très fortes au sein de l’OCI autour de la question syrienne. Le secrétaire général du Hezbollah libanais (chiite) Hassan Nasrallah s’est adressé aux sunnites en leur disant qu’il y avait danger à remettre en question l’autorité de l’état en Syrie. L’état syrien, majoritairement sunnite, est gouverné par la famille Assad, issue de la minorité alaouite, une branche du chiisme. Hassan Nasrallah sait que si les sunnites viennent au pouvoir en Syrie, il va perdre le soutien de la Syrie et cela va modifier l’équilibre précaire du Liban. Nasrallah va envoyer des combattants soutenir Bachar el Assad. Bachar el Assad est également soutenu par les pasdarans iraniens et des chiites du Pakistan, d’Afghanistan, d’Iran et d’Irak. De l’autre côté des syriens, des irakiens, des turcs et des kurdes sunnites. Les Kurdes vont jouer leur propre jeu en se disant que c’est l’occasion de créer un état kurde unifié.
On a sur la scène syrienne un condensé des affrontements interconfessionnels (c’est plus compliqué car il y a eu des alaouites dans l’opposition et des sunnites pour le pouvoir) ; à tel point qu’à l’échelle régionale, le Hezbollah libanais chiite est considéré par certains états du monde arabe comme une organisation terroriste (alors qu’entre 1985 et 2012, il était considéré comme le héros du monde arabe qui tenait tête à Israël, qui est le mal absolu) : il y a bien une dimension religieuse. Si en 2015 le Hezbollah est placé sur la liste des organisations terroristes, en particulier par l’Arabie Saoudite, c’est juste après la signature de l’accord sur le nucléaire iranien, parce que l’ennemi premier de l’Arabie Saoudite, c’est l’Iran bien avant Israël. Il y a un rapprochement entre l’Arabie Saoudite et Israël contre l’Iran et le Hezbollah ; on est bien dans un conflit chiito-sunnite.
1 -3 Tensions et conflits intra-sunnites
Des années 70 à 2010, la carte politique des états arabes à majorité musulmans était la suivante : des régimes autoritaires confrontés à 3 oppositions :
- de gauche
- libérale
- à référence musulmane (Frères Musulmans ou émanation des Frères Musulmans), principale force d’opposition.
Il y avait des passerelles entre le pouvoir (qui ne sont pas des pouvoirs laïques, l’Islam est religion d’état, tous font référence à la charia dans la constitution, tous intègrent des normes religieuses dans le code pénal) et l’opposition à référence musulmane, à condition que celle-ci ne touche pas au politique et à l’armée, elle avait le champ libre en matière d’éducation, de culture, et dans le champ social.
En 2010 ces régimes sont renversés et des élections sont organisées. Elles sont remportées par les oppositions à référence religieuse, au Caire, en Tunisie, en Lybie, en Syrie ; les frères musulmans sont soutenus par le Quatar et la Turquie. Mais cette nouvelle donne fait peur à l’Arabie saoudite et aux Emirats Arabes Unis qui soutiennent les manifestations contre les Frères Musulmans. En 2013, en Egypte, ils sont balayés par l’armée ; en Tunisie, les Frères Musulmans négocient avec le parti non religieux. En Lybie, il y a scission. En Syrie, ils sont laminés.
Il y a donc une division intra confessionnelle, entre sunnites, autour du projet des Frères Musulmans. Les sunnites sont divisés en Lybie, au Yemen, en Irak ; les chiites, tout en étant minoritaires démographiquement dans le monde arabe, continuent à tenir Bagdad, Damas, une partie du Liban et une partie du Yemen. Cela les sunnites le vivent très mal.
2 – quel droit voulons-nous pour nos sociétés dans le monde musulman ?
Les sociétés du monde arabo musulman ont été sous domination coloniale. Elles ont reçu et intégré des éléments venus d’Europe, culturels, linguistiques, juridiques. Jusque dans les années 50, le droit européen a traversé ces sociétés, à quelques exceptions près (Arabie Saoudite).
Après les indépendances, la question s’est posée de garder ou non ces législations héritées de la colonisation. Les savants religieux ont mené des actions d’enseignement et de lobbying : tout ce qui est exogène est mauvais. Le grand Imam d’Al Azhar, qui a fait ses études en France, (thèse sous la direction de Louis Massignon), prône le rejet de tout ce qui vient de l’Europe.
Il y a une convergence de vue des penseurs musulmans très célèbres : le mal vient de l’extérieur et si nous redevenons purement musulmans (pas seulement individuellement, pensée occidentale) mais collectivement, avec des règles islamiques pures, alors notre société fonctionnera bien.
En 1978, un groupe de savants de l’université d’Al Azhar rédige une constitution islamique à dimension universelle (≈80 articles). Si un état se reconnaît dans ces articles, il peut rentrer dans la fédération des états islamiques. Le cœur de cette constitution islamique : « tout doit être dépendant de la charia » et de rien d’autre, donc rien des législations occidentales. Nous devons être guidés par un Imam qui a un pouvoir temporel, il doit défendre l’Islam et les musulmans, mais il ne peut pas remettre en question les éléments de la loi religieuse musulmane. Ceux qui disent la loi religieuse musulmane, ce sont les savants, les hommes de religion musulmans, ce sont eux qui ont la clé du pouvoir.
Ce qu’il y a de très remarquable, c’est que des sunnites de toutes obédiences et des chiites étaient prêts à se retrouver, il y avait un mouvement de convergence, il n’y avait pas de division entre sunnites et chiites ; c’était des sunnites qui considéraient qu’il faut du religieux et un religieux pur au cœur du système et puis les autres. La ligne de partage est une frontière entre musulmans intégraux[2] et tous les autres musulmans et les non musulmans, ceux qui disent qu’il y a un projet islamique intégral et tous les autres.
Est-ce que cela a été appliqué ? Non, jamais.
Premier point de blocage, en Egypte le président Anouar el Saddate commet un acte considéré par les musulmans intégraux comme irréparable, il est allé à Jérusalem et a négocié la paix avec Israël. Saddate est assassiné.
Deuxième problème : les chiites intégraux prennent de vitesse les sunnites intégraux. En 79, Khomeyni prend le pouvoir à Téhéran, avec l’appui des forces de gauche. Il met ceux-ci en prison et proclame une constitution de république islamique et l’avènement du premier jour du gouvernement de Dieu sur terre. C’est vraiment le message intégral. Cela pose problème aux sunnites car Khomeyni dit « la clé du pouvoir, c’est le guide suprême, religieux, le juriste théologien » qui a une formation spécifique, mais dans le chiisme, il a une qualité spécifique pour les chiites. Les sunnites n’en veulent pas car ils n’ont pas la même conception du pouvoir. Les sunnites craignent l’influence de Khomeyni, que des sunnites soient attirés par le chiisme. D’où le confit sunnito-chiite et le conflit Iran Irak (1980 à 1988, un million de morts) nait en partie de cela.
La constitution islamique à prétention universelle n’est pas appliquée, mais on en trouve des échos dans les documents auxquels on a voulu donner une portée internationale. En 48, la déclaration universelle des droits de l’homme est adoptée sans qu’aucun état ne vote contre. Dans les années 80, les musulmans intégraux décident de lui opposer une déclaration des droits de l’homme en Islam. La déclaration du Caire en 1990 est signée par les membres de l’OCI. Il y a des éléments de convergence avec la constitution islamique à prétention universelle.
- L’Islam est la religion de la « fitrah », religion de l’« unéité », c’est à dire l’Islam est la religion originelle de l’homme (s’il n’est pas musulman c’est parce que ses parents ou ses ancêtres en ont fait un chrétien, un juif…) Il est interdit de profiter de l’ignorance ou de la pauvreté de cet homme là pour le convertir à une autre religion ou à l’athéisme (article 10).
- Tout droit est subordonné à la charia
La ligue des états arabes a été créée en 1945 (7/8 états en 45 – 22 aujourd’hui). Ils ne s’entendent sur rien, y compris sur l’attitude face à Israël. Mais ils se sont entendus sur un point, en 96, sur un code pénal unifié qui reprend toutes les peines islamiques classiques. Les ministres de la justice ont adopté à l’unanimité ce code pénal unifié, cela montre l’importance de ce référent religieux. Mais ce code n’est pas forcément appliqué dans les états arabes.
Dans un état 4 types de droit coexistent : le droit national, qui l’emporte sur tous les autres (essentiellement un droit venu d’Europe et lié à un usage en partie traditionnel), le droit international (traités internationaux, conventions internationales), le droit religieux (qui concerne surtout la famille, l’héritage) et enfin le droit régional (ici le droit de la ligue des états arabes), qui n’est pratiquement jamais appliqué. Mais ce code existe, adopté à l’unanimité : force du religieux.
2 -2 défis analogues en Israël
Il n’y a pas de constitution de l’état d’Israël, il y a un texte de proclamation de l’existence de l’état d’Israël par Ben Gourion en 1948, mais les religieux s’opposent à l’existence d’une constitution : c’est la Torah qui est la constitution.
Il y a des lois fondamentales parmi lesquelles certaines sont plus importantes que d’autres, comme la loi du retour qui a des conséquences importantes en matière d’égalité, elle crée une inégalité entre juifs et non juifs (cette loi vaut seulement pour les juifs). Il n’y a pas de mariage civil, le mariage ne peut être que religieux, les israéliens vont se marier civilement à Chypre, mariage reconnu en Israël.
Il y a un débat : est-ce que l’état d’Israël est un état juif ou un état démocratique ? on ne peut pas être un état à la fois religieux et démocratique. Il y a une inégalité fondamentale entre la religion dominante, la communauté qui est liée à la religion dominante et les autres ; il y a une inégalité entre hommes et femmes : la femme ne peut pas divorcer si son mari ne lui accorde pas le guet.
En 2013, « dans le cadre d’Israël la défense de la perpétuation du peuple juif primera toujours les droits de l’homme » citation d’un universitaire juif.
3 – quelques exemples de la façon dont on perçoit l’altérité
Quelques exemples de la façon dont, autour d’évènements précis, on perçoit l’autre
3 -1 le congrès de Grozny en 2016
En 2016 à Grozny (Tchétchénie) un congrès réunit 200 oulémas sunnites du monde entier à l’invitation du président tchétchène Ramzan Kadyrov, fervent soutien de Vladimir Poutine, pour répondre à la question « qui sont les sunnites ?»
Cette conférence a été inaugurée par le cheikh d’Al-Azhar, Ahmed Mohamed el-Tayeb
Deux documents ont été produits : le premier est une fatwa rédigée en russe, qui vise à disqualifier des sunnites parmi les sunnites : les wahhabites (religion officielle de l’Arabie saoudite), « Daech » ; les Ahbaches, les « coranistes » réformateurs égyptiens pour qui le Coran vaut seul, sans la tradition. Pourquoi ? Vladimir Poutine défend une Russie orthodoxe avec une minorité musulmane qui n’est pas sur le même plan. Le but de cette fatwa était clairement de lui permettre de disqualifier religieusement un certain nombre de musulmans devant la justice russe : usage du religieux !
Le second document est un communiqué final en langue arabe, beaucoup plus flou, qui énumère les courants faisant partie du sunnisme (asharites et maturidites se répartissant dans les quatre écoles juridiques) mais sans évoquer ceux qui n’en sont pas et donc aucun des groupes dénoncés dans la fatwa en russe.
Cela provoque une très grave crise intra sunnite : crise religieuse.
3 -2 comment on se regarde entre sunnites et chiites :
Il y a 1,4 milliard musulmans / 200 millions de chiites.
Après les attitudes du dialogue et de la confrontation, deux attitudes émergent depuis plusieurs années :
L’ignorance : des sunnites pour les chiites : l’autre n’existe pas.
Au Maroc, on n’apprend jamais que la première dynastie marocaine était une dynastie chiite. En Egypte, on n’apprend pas que les fondateurs d’Al Azhar étaient des Fatimides donc des chiites. En Turquie : on n’apprend rien sur les alévis, une branche du chiisme, qui représentent 20% de la population.
Le rejet :
En Egypte on trouve des manuels anti chiites : les chiites sont des négateurs, considérés comme hors de l’Islam, on peut donc exercer la violence contre eux.
Mai 2013, le président de l’union mondiale des oulémas, également président du conseil européen de la fatwa, qui a une grande influence en Europe, a ressorti une fatwa du 13/14ème siècle qui dit « les alaouites (chiites, dont la famille Assad) sont plus mécréants que les juifs et les chrétiens. »
Du côté chiite, on ne dit pas que les sunnites sont des négateurs, sont hors de l’Islam. Mais on va pointer les « méchants takfiristes » qui forcément sont des sunnites.
Le Hezbollah libanais définit dans ses manuels qui est l’ennemi : Israël d’abord et ensuite les descendants de Yazid, qui a tué Hussein, petit fils de Mohamed, à la bataille de Kerbala.
Antagonisme de type confessionnel. Quand il y a bien être économique et paix politique tout le monde s’entend bien ; quand il y a un contentieux, toute la mémoire ressort et on rejoue la bataille de Kerbala.
Septembre 2016 : déclaration du grand mufti d’Arabie saoudite : « Il nous faut comprendre que ceux-là (les religieux qui dirigent l’Iran) ne sont pas musulmans, ils sont les fils des majûs (des zoroastriens, donc polythéistes) et leur hostilité envers les musulmans est ancienne, elle menace les gens de la Tradition et de la Communauté (sunnites).»
3 -3 le rapport à celui qui est légalement minoritaire
Acteurs secondaires dans les pays musulmans, les communautés chrétiennes sauf
au Liban, les chrétiens représentent 35% de la population (recensement de 1932, sur lequel est basé le fragile équilibre institutionnel du Liban) et jouent un rôle significatif.
en Egypte, peut-être 10% de la population ce qui fait 10 millions de chrétiens ! mais ils n’ont pas vraiment de pouvoir réel sauf ponctuellement ; le grand Imam a fait un travail pour que l’on considère les coptes comme des citoyens égaux, mais jusqu’à un période récente « le copte est ignorant et sent mauvais », il est donc écarté et ne peut enseigner la langue arabe, être ministre, être gynécologue, etc …
Conclusion :
Il y a 2 catégories d’acteurs importants : les responsbles politiques d’un côté et les producteurs de discours religieux. Parfois ils ne font qu’un.
Quand le président Recep Tayyip Erdogan joue sur la carte de « l’ottomanisme », il a un discours religieux, il pense « nous sunnites » contre Bachar el Assad, mais quand il lutte contre les kurdes, ce n’est pas la carte confessionnelle qui fonctionne. Quand Mohamed Ben Salmane met en prison de riches princes corrompus, ce n’est pas religieux, mais quand il dit « l’Iran est notre ennemi prioritaire », c’est la carte confessionnelle qui prime….
La carte confessionnelle joue suivant les circonstances.
Il y a donc une crise intellectuelle et sociétale derrière ces conflits. Elle est fondée sur cette question : continue-t-on à vivre dans un entre-deux entre un modèle idéalisé et la réalité vécue ? ou bien est-ce que nous nous disons qu’il n’y a pas de modèle et à ce moment là, le jeu est ouvert pour un nouveau système politique. Quelle est l’autorité qui tranche ? est-ce qu’on peut parler d’un problème entre vérité et erreur ? Et quelle est la communauté, s’il y en une, qui est censée nous guider? Cette problématique n’est pas propre aux musulmans de la région, n’est pas propre aux juifs de la région, elle est universelle.
[1] Terme mis entre guillemets par Dominique Avon, qui précise ne pas l’employer lui-même (cf note 2)
[2] Intégraux : quand il y a un conflit d’autorité entre le politique et le religieux, le religieux l’emporte, entre la science et le religieux, le religieux l’emporte et une communauté est supérieure à toutes les autres parce que c’est elle qui porte le message considéré comme message de vérité parce que révélé. Dominique Avon utilise ce terme d’intégral et non celui d’islamiste, car ce terme caractérise le projet.